Chapitre 54 - Défaillance

 VII - Cramois’îles


Chapitre 54 - Défaillance

Les dieux. Des êtres faits de chair et d’os, comme nous, mais dont la puissance et la longévité leur a permis de se propulser au sommet de la chaîne alimentaire.

Nul ne sait comment ils sont venus à exister. Car ces derniers n’avaient pas la capacité de se reproduire. Ils étaient, chacun, l’unique représentant de leur espèce.

À vrai dire, nous en savons très peu sur eux, hormis leur rapport aux humains. Il est dit qu’ils avaient la vie éternelle, mais qu’ils étaient tuables, en prouve la fin de leur ère.

Kanto était autrefois régie par trois dieux. Trois oiseaux aux pouvoirs si terrifiants, que toutes les créatures de la région se prosternèrent face à eux.

Artikodin était l’un d’entre eux. Un oiseau gigantesque glaçant les océans sur son passage. Et son nid se trouve actuellement juste en face de nous.

“L’île Écume…” Je marmonne, fixant les rochers sortant de l’eau telle une barrière naturelle, protégeant l’ancien territoire de l’oiseau légendaire. Territoire aujourd’hui revendiqué par des pirates.

“F.. Farida !”

Je me tourne, voyant Morgane se rapprocher en courant, un air désespéré sur son visage. Pour une raison que j’ignore, une envie de la prendre dans mes bras et de la rassurer m'envahit, mais j’efface rapidement cette idée de mon esprit.

“Je suis fière de toi, Sorcière. Je ne te pensais pas capable d’autant.” Je profite du fait qu’elle me rejoigne sur le pont afin de la complimenter. Après tout, je n’en attendais vraiment pas autant d’elle… J’ai même commencé à préparer un plan de secours au cas où.


Il y a quelques heures, après l’avoir convaincue de ne pas abandonner, nous sommes retournés sur l’île Deux. Là-bas, la vieille dame du magasin nous a mis à jour sur ce qu’il se passe sur l’archipel.

Apparemment, depuis deux mois maintenant, des survivants des Angels, une flotte de pirates ayant autrefois élu domicile sur les îles Sevii, sont revenus et ont repris le contrôle des îles.

Ils n’ont rencontré aucune résistance, car la Ligue, qui était censée protéger les habitants, ne répondait plus à aucun appel de détresse.

Morgane nous a alors expliqués que chaque membre du conseil s’était vu attribuer une région du pays il y a quelques mois, et que, si ses souvenirs sont bons, une vieille chercheuse du nom d’Agatha était responsable des Cramois’îles.

Visiblement, cette dame avait d’autres priorités…

Quoi qu’il en soit, la gérante du magasin nous a informé que si le Mitsu-Marin avait été volé, alors ce dernier se dirige probablement en direction de l’île Écume, là où se trouve le QG des Angels actuels.

Nous avons donc fait des achats pour l’opération de sauvetage en utilisant l’argent de Morgane, puisque le mien sert intégralement à la cagnotte globale de la résistance.

Le plan était simple sur le papier, mais compliqué en pratique. Je devais détourner l’attention de l’ennemi pendant que Morgane s’infiltre à bord du navire et libère les otages.

Au final, ce fut un succès.

“O.. On fait quoi maintenant ? Perso, je serais d’avis de rejoindre Ember sur l’île principale, mais les membres de l’équipage insistent pour éliminer les pirates tant que nous sommes ici…” Demande la Sorcière, les yeux remplis d’espoir.

“Ce n’est pas à moi d’en décider. Demande cela au capitaine.”

Son expression change dans un sursaut de panique, comme si cela était une surprise pour elle. Mais, si je devais donner mon propre avis… Je dirais qu’il faut battre le fer tant qu’il est chaud.

Certes, nous aurons plus de chances avec Azul et Ember, mais nous ne devons pas trop dépendre d’eux non plus. De plus, la bataille a dû alerter les pirates présents sur l’île.










Le Mitsu-Marin avance doucement entre les rochers, alors que j’aide le capitaine à le guider à travers l’une des seules routes possibles.

Autour de nous, des épaves éventrées et une mer de bois, flottant sur des eaux calmes. Et enfin, alors que nous nous approchons de plus en plus de l’île Écume… de la glace.

“Les températures ont chuté d’un seul coup…” Remarque l’un des membres de l’équipage.

“Cet endroit servait autrefois de repère à Artikodin. Bien qu’il soit mort, la glace qu’il a laissée derrière lui est éternelle.” j’explique.

“Artikodin ? Le dieu ?”

J’acquiesce, puis pointe du doigt une structure en ruine, légèrement dissimulée sous la neige.

“Ceci était un temple à son effigie. Les peuples habitants les Cramois’îles venaient y déposer des offrandes afin qu’il continue de protéger la région contre les envahisseurs.”

Un semblant de malaise se fait ressentir dans la cabine alors que l’imagination de l’équipage leur fait faire un voyage dans un passé maintenant lointain.

“C’est étrange…” J’ajoute, fixant l’île en face de nous.

Morgane, qui ne me lâche plus, de peur d’être seule avec les autres membres de l’équipage, me regarde avec un air curieux, comme si un point d'interrogation lévitait au-dessus de sa tête.

Je décide donc d’expliquer mon raisonnement. “Nous sommes à portée d’une attaque, et pourtant, personne n’est venu nous intercepter.”

“Peut-être qu’ils sont juste débiles ? Après tout, ceux qui avaient pris le bateau en otage n’étaient pas des lumières non plus…”

Non… Quelque chose ne va pas.

“Stoppez tout ! Jetez l’ancre !” Je crie à mes alliés, qui ne comprennent pas, mais se décident quand même à suivre mes directives, voyant que je suis plus au courant qu’eux sur la situation actuelle.

“Que se passe-t-il, Farida ?” Me demande un de mes partenaires d'armes, inquiet.

Je leur fais signe pour se taire, puis sortir de la cabine. Dehors, le silence se brise sous les sifflements du vent, le bruit des vagues et les cris des goélises. Ainsi que ceux d’un homme au loin.

“Ça venait de l’île.”

C’était un cri d’agonie. Quelqu’un venait de mourir. Mais qui ? Et pourquoi ? Comme dit plus tôt, il est impossible que les pirates sur l’île ne soient pas au courant de la bataille qui a eu lieu il y a quelques minutes de cela. Il est donc improbable qu’ils soient en train de torturer quelqu’un alors que nous sommes sur le point de débarquer dans leur QG.

Est-ce que le cri venait d’un des pirates ? Ont-ils rencontré un imprévu ? Dans ce cas, cela pourrait être un problème également, car nous n’avons aucune piste sur l’existence de quelqu’un ou de quelque chose sur cette île qui pourrait s’attaquer à ces types.

Bref. La question est : sommes-nous en danger ? Et si oui, de quel danger s’agit-il ?

“Morgane, est-ce que tu penses que tes drones peuvent inspecter l’île d’ici ?”

“Hm ? C’est risqué. Avec ce froid, leurs batteries vont se décharger très vite. Et puis, la neige risque de niquer leurs capteurs.”

Donc ce n’est pas impossible. Mais si cela venait à être un échec, alors le drone annoncerait notre présence.

Je me tourne donc en direction du reste de l’équipage afin de proposer un plan.

“Nous devrions y envoyer un petit groupe d'éclaireurs. Mais avant cela, j’aimerais interroger les hommes que nous avons capturés plus tôt.”










Dans un conteneur ouvert, surveillé par deux membres du clan Fuschia ainsi qu’un de mes collègues soldat, se trouvent les pirates que nous avons arrêtés plus tôt. Tous ligotés et assis sur le sol froid.

Faisant signe aux « gardes », ces derniers me laissent passer avec Morgane, toujours cachée derrière moi.

Nos prisonniers se tournent tous dans ma direction à l’instant où ils entendent le son de mes pas, et me fixent d’un air dégoûté.

“C’est cette salope qui était sur le jet-ski !”

Je me contente de les regarder sans rien dire. Cherchant parmi leurs têtes un visage qui pourrait m’être familier, mais c’est peine perdue, visiblement.

“Attends, cette marque sur son front…” Remarque l’un d’entre eux, son observation attirant rapidement l’attention de ses amis.

Ils se mettent alors tous à chuchoter entre eux, mettant mes alliés de plus en plus sur la défensive. Personnellement, je pense déjà connaître la suite de cette histoire.

“C’est une putain de défaillante !” Hurle l’un des hommes ligotés en explosant de rire. Son hilarité se répandant dans tout le conteneur.

“De quoi ils parlent ? Ils ont perdu la boule…?” Demande Morgane, presque exaspérée par le spectacle devant elle.


Comme dit plus tôt, Artikodin, le dieu de la région, servait également de protecteur aux peuples habitants les Cramois’îles. Mais, à la fin de l'ère Divine, lorsqu’il fut terrassé par les anciens héros de Kanto, l’archipel perdu son tyran ainsi que son gardien.

Les bandits des mers ont donc pu s’en donner à cœur joie pour piller et tuer les habitants des îles Sevii. Et, voyant que personne ne venait défendre où réclamer ces terres, les pirates ont fini par y élire domicile.

Tous ont fini par s’allier sous un seul et même drapeau avec le temps, fondant une nation de bandits. Une flotte portant le nom des « Angels ».

Leur société fonctionnait sur le principe de l’utilité. Tout le monde devait contribuer avec, pour base, leur corps. Les femmes étaient donc destinées à rester sur les îles afin de copuler et de procréer, ainsi que maintenir ce territoire en bon état.

Les hommes, quant à eux, servaient d’équipages pour la flotte des Angels. Ils devaient être forts pour risquer leur vie au combat, mais, en échange, avaient le droit de suivre et d’imposer leurs volontés sur ceux qui leur étaient inférieurs.

Comme par exemple les femmes, où encore… les défaillants. Ces derniers étaient des hommes et des femmes jugés comme incapables d'accomplir la tâche pour laquelle ils sont nés. Ils sont donc marqués comme tels, au fer rouge.

Dans le cas d’un homme défaillant, ce dernier était généralement castré puis laissé en esclave sur les îles. Pour ce qui est des femmes défaillantes… Cela dépendait du cas.

Karima était une amie chez qui j’ai vécu jusqu’à mes treize ans. Comme quasiment tous les habitants de l’île, je ne connaissais pas mon père. Quant à ma mère, j’ai entendu dire qu’elle était morte peu de temps après ma naissance.

Bref. Karima était chargée de s’occuper d’un vieux spa, sur l’île Un. Je l’aidais, malgré mon jeune âge, mais certaines tâches m’étaient interdites, justement, car j’étais trop petite à l’époque.

Des tâches dont seule une femme adulte pouvait s’occuper. Des tâches qui lui ont ruiné sa santé. Et au fur et à mesure que son état empirait, la réputation du spa sombrait également.

« La veuve noire ». C’est le surnom que les pirates lui donnaient. Et je n’ai compris la signification de ce nom que beaucoup plus tard.

Elle était atteinte d’une maladie sexuellement transmissible. Une maladie qu’elle a elle-même attrapée lors de son travail au spa.

Ses jours étaient comptés. Et plus personne ne venait lui rendre visite. Il était donc futile de la marquer comme une défaillante. Mais il n’était pas trop tard pour moi.

“Farida… On ne peut pas supprimer le destin. Tu es né femme, tout comme moi, malheureusement.”

Je ne comprenais pas encore le poids de ses mots à l’époque.

“Mais nous pouvons encore changer le destin. Pour ce faire, il suffit d’apporter quelques modifications à la réalité, pas vrai…?”

Ce jour-là, Karima fut tuée par des habitants de l’île, après qu’ils m’aient retrouvée mutilée dans une des salles de massages de l'établissement. Elle venait de me retirer la fonction principale d’une femme dans cette société. La capacité de procréer.

En tant que femme défaillante, plusieurs possibilités m’attendaient. Mais aucune d’entre elles ne semblait mener vers une fin joyeuse. J’ai donc appris à user de tromperie afin de compenser ma faiblesse physique. Mon plan était de devenir un atout en combat, afin de rejoindre la flotte.

Tant que je me battrai, personne ne me vendra en esclave. Tant que je me battrai, personne n’osera me faire de mal. Tant que je me battrai, je continuerai de vivre.

Mais, lorsque la guerre entre Kanto et Johto éclata, les îles Sevii regagnèrent en intérêt aux yeux du gouvernement kantonnien. Pour être plus précis, les pirates étaient un problème pour les attaques maritimes. Nous étions donc devenus une cible à abattre.

Malgré notre connaissance des batailles en mer, l’armée kantonienne nous aura complètement terrassés. Ce fut un massacre unilatéral… à l’exception de certains chanceux, ayant fait face à un soldat extrêmement talentueux, mais aussi beaucoup trop clément.

Je me souviens encore de ce jeune homme aux allures féminines. Sa longue chevelure châtain claire dansait dans les airs alors qu’il immobilisait les membres de mon équipage les uns après les autres.

Lorsqu’il arriva à mon niveau, je pensais que mon heure était venue. Je ne voyais aucun moyen de tromper sa garde avec mon niveau de l’époque. Mais, tout comme pour les autres, je fus simplement immobilisée.

Apparemment, ce jeune homme était connu comme étant problématique au sein de l’armée, justement, car il refusait catégoriquement de tuer. Tout le monde le pensait naïf. Cependant, pour avoir vu la frustration sur son visage lorsqu’il nous a tous épargnés… Je sais qu’il n'était pas niais. Il agissait de la sorte, car sa vie était moins importante que celle des autres.

Après cela, les pirates encore vivants furent emprisonnés dans une prison de Carmin sur Mer. Pour ma part, j’ai accepté de donner des informations aux autorités kantoniennes en échange de ma liberté.

Ils ont ainsi pu rapidement libérer les îles Sevii, exterminant les pirates restants. Quant à moi… j’étais enfin libre. Dans la société kantonienne, aucun rôle ne nous est attribué de base. C’est à nous de nous forger un destin.

Cette nouvelle dynamique plaisait beaucoup aux habitantes des îles, qui pour certaines se sont misent à voyager. Pour d’autres, elles sont restées sur place afin de construire un endroit plus chaleureux.

Ce changement était agréable à voir. Je n’aurais jamais imaginé voir une telle utopie prendre vie au cœur de ces eaux tachées de sang.

Mais je ne suis pas légitime à ce bonheur. J’ai moi-même participé aux pillages et aux meurtres commis par les Angels… De plus, la seule chose que je sais faire, c’est combattre. J’ai donc rejoint l’armée kantonienne à la fin de la guerre. Pour me repentir. Pour faire le bien. Mais aussi et surtout… pour continuer de vivre.


“Farida ? Ça va ? Ça fait une minute que tu les fixes sans rien dire…” Me dit Morgane, me rappelant à la réalité.

Je décide donc enfin d’interrompre les rires des pirates. “Alors les Angels sont encore en activité ?”

“Nous ne sommes plus les Angels ! Nous sommes les Archangels désormais !!” Dit l’un d’entre eux, un air fier malgré sa position de prisonnier.

“Et vous êtes combien maintenant ?” Je demande, ignorant leur excès de confiance.

“On n’a pas à te répondre, la défaillante !” Crache l’un d’entre eux, me fixant d’un air défiant.

Demandant à Morgane de s’éloigner, je m’avance doucement vers les prisonniers, sortant un briquet de ma poche.

“C’est dommage. Car votre seule utilité, sur ce navire, est de répondre à mes questions. Si vous êtes incapables de le faire… Cela fait de vous des défaillants, non ?”

Leurs yeux s’écarquillent peu à peu, tandis qu’ils essaient de garder un semblant de courage.

“Tu peux nous torturer si tu le souhaites ! On ne crachera rien !!”

“Vous torturer ?” Je penche ma tête sur le côté, feignant l’ignorance. “Non. Je vais juste marquer chaque défaillant d’une brûlure, comme celle que vous voyez sur mon front.”

Attrapant alors la chevelure grasse de l’un d’entre eux, je le force à se lever malgré ses pieds liés. Ce dernier grimace sous la douleur, mais son air dissident disparaît à l’instant où la flamme de mon briquet apparaît, à quelques centimètres de son visage.


Quinze minutes plus tard, nous sortons du conteneur avec Morgane. Mon briquet n’a plus beaucoup de gaz, mais la pêche aux infos a été fructueuse.

Apparemment, les Archangels sont des membres des Angels ayant échappé aux forces kantoniennes, il y a deux ans, en se cachant justement sur l’île Écume. Ils sont peu nombreux, et n’ont repris le contrôle des îles Sevii que récemment, lorsqu’un chercheur chauve est venu à leur rencontre.

Ce dernier leur a proposé un deal. S’ils acceptent de lui servir d’hommes de main, alors il leur donnera le contrôle de toute la côte de Kanto lorsqu’il aura conquis le pays.

“Ils sont encore plus stupides que ce que j’imaginais.” Je me fais la réflexion à vive voix.

“Un chercheur chauve qui veut conquérir le monde ? J’ai l’impression d’avoir déjà vu ça quelque part…” Dit Morgane, se retenant de rire.

“Quoi qu’il en soit, nous allons devoir inspecter l’île pour voir ce qu’il s’y passe.” On ne peut pas laisser la situation sur les îles Sevii continuer ainsi.

“J.. J’ai vraiment un mauvais pressentiment, perso…”

Hmm. Les pirates ont également mentionné une expérience que mènerait ce mystérieux chercheur. Apparemment, toutes les semaines, une nouvelle personne est emmenée dans une pièce scellée du vieux temple d’Artikodin.

Nul n’a le droit d’entrer dans cette pièce, a part le chercheur. Et des cris d’agonie en sortaient parfois. C’est probablement lié aux hurlements que nous avons entendus plus tôt. Et quelque chose me dit qu’il y a aussi un rapport avec le fait que personne ne soit venu nous intercepter.










Nos pas font craquer la neige et la glace sous nos pieds, alors que nous approchons du temple. Et, évidemment, plus nous nous approchons de ce dernier, et plus les températures descendent.

J’ai décidé de ne prendre que trois personnes avec moi, au cas où les choses tournent mal. Notre groupe est donc composé de deux ninjas et de deux soldats.

Mais alors que nous sommes presque au niveau des ruines, une vague de froid, sortant de l’intérieur de l’ancien lieu de culte, traverse la zone. Des énormes stalagmites sortent alors du sol, menaçant de nous transpercer.

“Qu’est-ce que…?!!”

Mais l’un des membres du clan Fuschia présent avec nous nous pousse en dehors du champ affecté par cette anomalie. Il parvient lui-même à éviter la plupart des pics de glace, mais son pied se pose alors au mauvais endroit. Une nouvelle stalagmite jaillit alors du sol, lui arrachant la jambe dans une scène surréelle.

Son collègue hurle son nom, mais nous le retenons par les bras alors que le ninja, maintenant au sol, se fait transpercer de toute part par des pics de glace, qui assimilent peu à peu la couleur de son sang.

Était-ce une erreur de venir sur cette île ? Je ne comprends pas… J’ai tellement de questions. Comment une chose pareille est-elle possible ? Serait-ce de la magie ? Non… C’est impossible. Serait-ce une technologie semblable à celle des Eevolv ? Quelque chose en lien avec une pierre élémentaire ?

Quoi qu’il en soit, nous devons vite partir d’ici. Traînant le dernier ninja en vie avec nous, nous courons dans la neige, en direction du navire. Mais une nouvelle vague de froid nous traverse, alors que la jambe de mon camarade se coince dans le sol, le faisant tomber.

Ce dernier hurle de douleur. Sa cheville se serait cassée. Je tente de le forcer à se relever malgré tout, mais quelque chose ne va pas. Il ne bouge pas.

Une épaisse couche de glace relie son pied au sol.

“La chose responsable de tout ça ne nous laissera pas quitter l’île en vie.” Je fais la remarque à voix haute, avant de me tourner en direction du temple, ravalant ma salive.

“Farida…?”

“Trouvez un moyen de briser la glace. S’il n’y en a pas, il faudra couper.”

Le visage de mon camarade devint soudainement pâle, mais il comprit l’urgence de la situation. Je reprends alors la parole.

“Je vais attirer l’attention en entrant dans le temple. Et, si possible, essayer d’arrêter ce qui est à l’origine de tout ceci.”

Sur ces mots, j’entame une course à travers la neige et le froid, sous les cris désapprobateurs de mes alliés.

J’ignore quasiment tout de l’ennemi, mais usant du peu d’information que j’ai, je change mes trajectoires à chaque fois qu’un vent froid sort des ruines vers lesquelles je me dirige.

Finalement, arrivant face au temple, j’entre dans ce dernier via ce qui était autrefois la porte d'entrée. Et, même pas une seconde après que j'ai franchi le vestibule, un mur de glace se crée derrière moi, me privant de toute chance de retour en arrière.

“... Vais-je mourir ici ?”

Ce serait dommage. J’aurais aimé combattre aux côtés des autres lors de la bataille finale. Mais… Je ne peux pas laisser cette chose en vie.

Mon regard tremblant se tourne en direction de la chose en question. Entouré d’une pile de cadavres dont le sang se cristallise peu à peu, un oiseau de la taille d’un roucoups, entièrement fait de glace rougeâtre, boit le liquide cramoisi qui se répand entre les vieilles dalles du temple.

Tenant fermement ma mitraillette, j’essaie de stabiliser ma respiration alors que mes poumons sont brûlés par le froid. Mais au fond de moi, je sens que ma tentative sera futile. Tous ces hommes par terre étaient armés, eux aussi. Et des douilles brillent au sol, telles des pépites d’or au milieu d’une pièce de cristal.

Je ne peux qu'espérer que mon sacrifice donnera le temps à mes alliés de fuir…

La bête lève doucement la tête, se tournant vers moi. Un silence glacial parcourt le temple, alors que nous sommes incapables, tant moi qu’elle, de jauger les intentions de l’autre. Une seule chose est sûre : cette rencontre résultera dans la mort de l’une d’entre nous.


[Vert Feuille] Mechamon Iris - Page 5 Chapit38


Soudain, l’oiseau pousse un cri strident, résonnant dans le temple. Je ressens l’air se refroidir encore plus, tandis que des pics de glace se forment autour de la créature. Je pointe donc mon arme dans sa direction, et hurle à plein poumon en appuyant sur la détente.

—-

BOUM.

Mes yeux s’écarquillent, alors que je suis éblouie par une puissante déflagration, qui désintègre une partie du bâtiment. Celle où se trouvait l’oiseau de cristal.

Je me laisse tomber à genoux, mon visage figé sur une expression de surprise alors que l’onde de choc balaye mes cheveux en arrière.

Q.. Qu’est-ce que c’était que ça…? On aurait dit une explosion. Ou un tir. Ou les deux à la fois.

“Farida ?!”

Une voix déformée, comme sortant d’un haut-parleur, retentit à l’extérieur. Mais je n’ai ni la force pour lui répondre, ni pour discerner à qui elle appartient.

Je…

“Je suis encore en vie…”


Peu de temps après, un Soldat doré traverse les débris afin de me rejoindre. Son pilote, Azul Leeves, ouvre son cockpit et m’aide à entrer à l’intérieur, avant de m’escorter jusqu’au Mitsu-Marin.

Le court voyage dans son mecha se fait silencieusement. Via ses moniteurs, je vois qu’à l’extérieur, ce qui s’apparente aux restes d’un canon repose sur le sol. Ce dernier est encore rouge et la neige autour de lui semble avoir déjà fondue.

“Vous m’avez encore sauvée…” Je constate d’une voix faible, mon corps toujours tremblant.

“Hein?”

Il ne semble pas s’en souvenir. Soit. Je n’insisterai pas là-dessus.

“Alors le tir a bien touché quelque chose, hein ?”

Ah. Maintenant que j’y pense, s’il tirait depuis l’extérieur, il ne devait pas voir ce qu’il visait…

“Comment avez-vous fait pour savoir…?”

“Les capteurs n'indiquaient que ta chaleur corporelle à l’intérieur. Je savais donc où ne pas tirer.” Dit-il, avant de prendre soudainement conscience d’une chose, tournant son visage dans ma direction. “Ha ! Désolé, ça te dérange si on se tutoie ?”

Bien que le cockpit de l’Eevolv-S soit grand, ce dernier reste trop petit pour mon espace personnel. Je détourne le regard, cachant mes lèvres avec mes mains afin de souffler dedans, dans l’espoir de les réchauffer, ne serait-ce qu’un peu.

“Non. Ça ne me dérange pas.”

Mon visage me brûle. Ça doit être mon sang qui circule à nouveau.

Alors que nous arrivons au navire, je constate que les deux hommes qui m’accompagnaient plus tôt sont en sécurité. Et qu’une personne court en direction du Soldat, hurlant mon nom en voyant le cockpit s’ouvrir.

“Morgane…”

“Farida ! J’ai eu si peur ! On allait intervenir lorsque l’Eevolv-S est sorti de l’eau et a visé le temple avec son canon !”

Sorti de l’eau…? Je lance un regard fatigué, mais curieux au pilote, attendant une explication de sa part.

“C’est une longue histoire… Mais pour la faire courte, j’ai appris qu’une chose dangereuse se trouvait sur cette île. Nous nous sommes alors séparés avec Ember, dans l’urgence. J’ai utilisé la Conversion afin de me déplacer sous l’eau.”

“E.. Et ce tir ! C’était—” Cri Morgane, sautant sur place, ne cachant pas son excitation vis-à-vis de la machine qui lui servait encore de chambre ce matin.

“Le Full Drive.” Répond Azul, ne la laissant pas finir.

Le Full Drive… Une capacité permettant aux Eevolv d'exploiter l’intégralité de l'énergie produite par leur pierre élémentaire. La puissance du tir a totalement vaporisé mon ennemi, tout à l'heure.

“D.. Dans le temple… Il y avait une sorte d’oiseau—” Je commence à parler, mais suis rapidement interrompue par un rugissement lointain.

Une épaisse fumée couvre peu à peu le ciel, au loin, en direction de l’île principale des Cramois’îles.




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