Chapitre 23 - La rafflésie

 IV - Céladopole


Chapitre 23 - La rafflésie

Une étrange rumeur circule à Céladopole ces temps-ci : quiconque s'aventurera dans les ruelles de la ville basse à la tombée de la nuit, fera face aux esprits de ceux qui s’y sont autrefois perdus.

Je me demande comment une histoire aussi ridicule à gagner autant en popularité… Au point qu’Erika elle-même s’y intéresse.

“Cette histoire sent le mystère à plein nez ! Tu en penses quoi, Chris ?”

Franchement, je n’en pense pas grand-chose de plus. Ce sont sûrement des gamins d’une académie quelconque qui se sont dits qu’il serait drôle d’effrayer tout le monde.

Mais depuis que nous sommes allés enquêter sur cette école miteuse l’autre jour, notre chère présidente du conseil des élèves à l’air de chercher une nouvelle affaire à se mettre sous la dent.

Qui suis-je pour ruiner ses rêves ? Après tout, ça m’a l’air assez évident qu’elle se fait terriblement chier dans sa vie.

“J’en sais rien. Pourquoi ne pas enquêter dessus ?”

Les yeux d’Erika s'illuminent comme ceux d’un enfant voyant un cadoizo dans son salon le soir de Noël.

Mais j’avais presque oublié la présence de la plus grosse casse-couilles de tout Kanto : Claire.

“Ce n’est qu’une rumeur stupide et sans fondement. Ne perdez pas votre temps avec cela, dame Erika. De plus, la ville basse est remplie de malfrats qui n'hésiteront pas à vous faire du mal s’ils vous voient.”

“Haha… J’imagine qu'on n'a pas vraiment le temps pour ce genre de choses, oui…”

Elle dit ça, mais je sais très bien qu’elle compte mener son enquête sans rien nous dire. Comme pour l’affaire de l’école vandalisée.

Bien que je déteste cette connasse de Claire, elle n’a pas tort quand elle dit que la ville basse est un endroit dangereux. Surtout pour une élève de l'Académie Rafflesia.

Je soupire alors, profitant du fait que la binoclarde soit concentrée sur de la paperasse pour prendre Erika à part, lui chuchotant les mots suivant :

“J’ai du taf dans la ville basse ce soir. J’irais enquêter pour toi.”

“Tu travailles en semain-”

Je pose mon index sur ses lèvres en souriant. Son visage s’empourpre alors que son regard se perd aux quatre coins de la pièce.

Cette fille fait genre d’être stricte alors qu’elle est si facile à manipuler… Mais c’est ce qui en fait son charme, je suppose.










La ville basse. Connu pour être le district le plus craignos de la capitale.

Il s'agit d’un quartier résidentiel à la base, mais les prix font que les seules personnes habitant ici sont celles avec une situation financière catastrophique.

Et en contrepartie, l’état des habitations est lamentable. Contrairement aux autres districts de Céladopole, la ville basse n’a jamais eu le droit à un projet pour la rendre plus attractive.

Personne n’ose s’en approcher vu le taux de criminalité. Et, depuis le changement de gouvernement, ça n’a fait que s’empirer.

C’est dans cet endroit sombre que je travaille ce soir. Une entreprise de livraison a trop peur de venir livrer ici depuis que certains employés se sont fait agressés.

“Tu conduis ?”

Lui, c’est Abdul, mon collègue. On se retrouve souvent sur les mêmes jobs. Vu les nombreux talents qu’il possède, je me demande pourquoi il ne se cherche pas un vrai boulot.

“T’es sûr ? J’ai pas de permis, et je suis encore mineure.”

“Tu sais conduire un scooter, non ? Dis-toi juste qu’une camionnette, c’est un scooter rectangulaire avec quatre roues, un guidon circulaire, qui roule à plus de soixante-dix kilomètres/heure et… Bref, ce n’est pas si différent.”

Mon cul. Il veut juste pas conduire.

“Il vaut mieux que ce soit toi qui prennes le volant… Crois-moi.”

J.. Je vais le croire…


Finalement, le job se passe beaucoup mieux que ce à quoi je m’attendais.

Les quelques types louches que nous croisons se contentent de nous ignorer.

Nous arrivons bientôt au dernier colis à livrer, et l’autoradio indique qu’il n’est que vingt heures trente.

Moi qui pensais finir tard, non seulement, j’aurais du temps pour réviser en rentrant, mais en plus, j’ai pu pratiquer ma conduite sur un véhicule à quatre roues.

Mais alors que notre camionnette passe en face d’une des nombreuses ruelles de la ville basse, une silhouette apparaît dans mon champ de vision.

Mon sourire s’estompe peu à peu, tandis que des images du passé défilent dans mon esprit.

Avant que je ne m’en rende compte, mon pied s’enfonce sur la pédale de frein, stoppant brutalement le véhicule.

“H.. Hey ! Qu’est-ce qui te prend ?!”

J’entends la voix de mon collègue, mais je ne l’écoute pas. En un instant, ma ceinture était retirée et la portière de la voiture ouverte.

Je quitte alors le véhicule, laissant Abdul seul afin de poursuivre la silhouette que j’ai aperçu plus tôt.


Perdu.

Je l’ai perdu. Après avoir cherché dans chaque coin de rue possible.

Mon cœur bat si fort que je n’entend plus le monde qui m’entoure. Mes poumons me brûlent à chaque bouffée d’air que j’aspire.

Je… Je crois que je vais vomir.

Alors que je ressens ma tension prendre une descente à quatre-vingt-dix degrés, une main se pose lourdement sur mon épaule.

Je me retourne, la gorge nouée, me retrouvant alors face à un beau gosse aux yeux bleus.

“Ah… Abdul…”

“Calme-toi. Reprendre ton souffle, on parlera après.”










Après que je me sois ressaisie, Abdul m’a invité à un Diner au District Sud afin que je reprenne des forces en mangeant quelque chose.

Et si je n’ai pas vomi dans la ruelle, au final, c’est en subissant la conduite de mon collègue que ma digestion décidera de faire marche arrière.

“Tu ne vas pas manger ? J’ai déjà payé, tu sais ?”

Il a l’intention de me faire culpabiliser pour me forcer à manger…?

J’attrape son fichu burger puis en prends une grande bouchée.

“Alors ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ?”

Je termine ce que j’ai en bouche avant de lui répondre :

“Rien. Ne t’inquiète pas.”

“Ok, donc je suppose que je ferais mieux de rapporter ça à notre patron…”

“HEIN ?! Tu te fous de ma gueule ?! C’est pas parce que tu m’as payé un burger que ça te donne le droit d’être aussi intrusif-”

Son regard perçant se bloque alors sur le mien, me renvoyant des sueurs froides dans tout mon corps.

“Je ne travaille pas avec des gamines instables. Alors soit tu m’expliques la situation, soit tu dégages.”

Bordel… Ce mec est terrifiant. Et pourtant, je comprends parfaitement ce qu’il veut dire.

Je pense pouvoir lui faire confiance. Après tout, je ressens une sorte de similitude entre lui et moi. Comme si la vie nous avait forgés de la même manière.

“Ok… J’ai cru voir une personne que je connaissais. Sauf que cette personne est morte il y a des années…”

Je lève les yeux vers Abdul, pensant qu’il abandonnerait l’idée de m’écouter après ça, mais le jeune homme se contente juste de me regarder, sans qu’aucune émotion ne se laisse transparaître sur son visage.

“Qui était-ce ?”

“On s’en fout, non ? J’en ai déjà assez dit.”

“La seule chose que je sais sur toi, c’est que tu es une gamine instable qui dit voir des gens qui sont morts. Excuse-moi de ne pas être convaincu-”

“C’ÉTAIT MON PUTAIN DE FRÈRE !!! C’EST BON LÀ ?!!”

“Tu n’es  pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, dis-moi.”

“Je te jure que j’vais te buter si tu dis un mot de plus…”

“Tu ne serais ni la première, ni la dernière à essayer. Tu crois que je vais te prendre de pitié car tu vois le fantôme de ton frère ? Réessaie.”

Bordel… Ce mec est détestable.



“Il faisait partie d’un gang de motards appelé : Les Smogs. C’était un groupe de jeunes cons qui n’avaient même pas leur permis et qui pensaient que c’était cool d’aller à l’encontre des lois.”

“Les Smogs ? Je connais pas mal de gangs à Céladopole, mais je n’ai jamais entendu parler de celui-ci.”

“Normal. Le gang n’existe plus. Leur arrogance a eu raison d’eux le jour où ils ont voulu se frotter à la mafia.”

Le regard de mon interlocuteur se noircit à l’instant où je termine ma phrase.

“...La Team Rocket je suppose.”

…!

“...J.. Je n’ai pas assisté à la scène. Ce sont les potes de mon frère qui m’ont raconté ce qu’il s’est passé ce jour-là. Apparemment, le boss des Rocket a voulu s’occuper de cette affaire lui-même. Comme preuve de clémence, il avait décidé d’utiliser le chef des Smogs, mon frère, comme exemple pour montrer à tous les gangs le sort réservé à ceux qui le défie.”

“Je vois… C’est donc ainsi que-”

“Que mon frère a été tué, oui. Après ça, plus aucun membre de son gang ne s’est remis à faire de l'illégale…”

Mon poing se serre alors que je repense à cette époque.

Comme si le fait de traîner notre nom dans la boue ne lui suffisait pas, cet idiot a été se faire buter par un putain de parrain de la mafia.

Et ses enfoirés de potes, qui lui ont donné la confiance nécessaire pour poursuivre ses idées débiles telles que devenir un motard, mais qui n’assument plus lorsqu’ils ont fait la connerie de trop.

Ma famille a souffert, et elle souffrira toujours par leur faute.

C’est pourquoi, un jour, j’ai décidé de donner un sens à tout ceci.

Je n’avais plus rien à perdre. Je me suis donc lancée dans la délinquance à mon tour.

Ça a commencé avec de mauvaises fréquentations, mais, au final, personne n’était suffisamment mauvais pour supporter la haine qui émanait de moi.

J’étais seule. Et j’aurais dû le rester.

Mais les choses ont pris une toute nouvelle tournure à mon arrivée dans l'Académie Rafflesia.

Ma famille était suffisamment riche pour que je sois acceptée, malgré mon comportement et mes notes.

C’était ma dernière chance pour me réintégrer, et j’étais à deux doigts de la refuser.

Mais une jeune fille johtonnaise en avait décidé autrement.

C’est ainsi que j’ai rencontré Erika, la personne qui me sauva des ténèbres. Ma seule et unique alliée dans cet univers.

Je ne veux pas la décevoir. Bien que ce soit difficile de redevenir celle que j’étais avant, je ferais de mon mieux pour ne plus céder à ma part sombre.

“C’est bon maintenant…? Tu en as assez entendu ?”

“Oui… Désolé.”

“Du moment que tu ne me balances pas au patron…”

“Chris.”

J’évitais à tout prix de croiser son regard, mais c’est en entendant mon prénom que j'ai fini par céder.

“Je veux que tu me promettes deux choses. La première, c’est de rester le plus loin possible de la Team Rocket.”

“T’en fais pas pour ça. C’est quoi la deuxième ?”

“La prochaine fois que tu penses voir le fantôme de ton frère, ne le poursuis pas.”



“Il faut parfois laisser au passé ce qui lui appartient… Au risque d’éveiller certains démons.”

Je ne comprends pas vraiment ce qu’il essaie de dire, mais j’accepte néanmoins de lui faire cette seconde promesse.










Le lendemain.

Après ce qu’il s’est passé hier, je me sens beaucoup plus fatiguée que d’habitude.

Mais d’un autre côté, je me sens également beaucoup plus soulagée. Le fait d’avoir parlé de tout ça m’a, en quelque sorte, ôtée d’un poids que je portais depuis fort longtemps.

J’entre dans la salle de classe, ignorant les quelques débiles qui me jugent encore au faciès.

“Pour une fois que tu arrives en avance.”

Claire…

“Fous-moi la paix. J’ai pas dormi de la nuit.”

“Je me disais aussi qu’une fille comme toi ne change pas du jour au lendemain.”

Qu’est-ce que t’y connais, toi, en changement… ?

“OH ! Bonjour Chris !”

Ah. Mon rayon de soleil.

“Hey, Erika.”

“Tu as une sacrée tête d’enterrement…”

“Ça ne change pas de d’habitude.”

“Claire…”

Je soupire longuement, réalisant à quel point la journée serai longue.

Mais alors que je me penche afin d’attraper mes cahiers, Erika fait de même dans le but de me chuchoter quelques mots.

“Alors ? Tu as appris quelque chose ?”

“Hah ?”

“Dans la ville basse…”



..

.

Merde.

C’est vrai qu’il y avait ça… C’était quoi déjà ? Une histoire de fantômes ?

Attends un peu…

“Hm ? Chris ?”

« Quiconque s'aventurera dans les ruelles de la ville basse à la tombée de la nuit, fera face aux esprits de ceux qui s’y sont autrefois perdus. »

“Tu as vu quelque chose là-bas ?”



“Non.”












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