Chapitre 24 - L’arôme de la mort

 IV - Céladopole


Chapitre 24 - L’arôme de la mort

« Jeudi 21 Août. Céladopole : Un homme de vingt-huit ans est retrouvé mort dans son appartement. La victime aurait été tuée à l’aide d’un puissant poison sous la forme d’un liquide visqueux de couleur rose ou violette. Il s'agit du troisième cas en moins d’une semaine. »

Le tueur aux chrysanthèmes. Un serial killer utilisant une sorte de poison qui ferait pourrir ses victimes de l’intérieur. Son nom viendrait des pétales de chrysanthème qu’il laisserait derrière lui.

Quant aux victimes, elles ont toutes un point commun… ce sont tous des anciens membres des Smogs, le gang auquel appartenait mon frère.

Il va sans dire que cette affaire me perturbe. La coïncidence est pour le moins flippante. Il y a moins d’une semaine, je voyais une silhouette ressemblant à la sienne, et maintenant, voilà que le passé remonte à la surface, de la pire des manières.

Cependant, est-ce réellement une coïncidence…?

Je repose le journal sur la table du café avant de reprendre ma route en direction de l’académie.


En classe, mon regard se perd en direction de la fenêtre. Je n’ai pas la tête à être ici. L’extérieur m’appelle.

Je ressens le regard pesant de mes camarades, et j’entends les quelques plaintes des profs, mais je ne peux rien y faire.

Ces temps-ci, mon esprit est ailleurs. Loin de cette réalité.



Je me demande si les flics vont bientôt mettre la main sur ce meurtrier…


La journée se termine sans que rien ne se passe.

Nous sommes toujours en été, et pourtant, je ne ressens pas les rayons du soleil de là où je suis.

C’est comme si je vivais dans une nuit perpétuelle.

Mon âme errant dans les rues de la capitale, je n’ai ni la force ni l’envie de travailler aujourd’hui.

Est-ce qu’il y aura encore une victime ce soir ?

En vrai, je me fiche bien du sort de ces enfoirés. Mais l’identité du meurtrier m’inquiète.

Qui est-il ? Un membre de la Team Rocket ?

Vu le timing, ça pourrait même être Abdul… bien que je ne vois pas pourquoi il ferait ça.

Je veux dire, il cache clairement des choses sur sa vie privée, mais mon histoire ne l'intéressait pas vraiment.

Toutes ses questions, c’était probablement pour s’assurer que je ne représente pas un danger pour lui.

Hah… Que faire… ?

Devrais-je vraiment respecter cette promesse ?

Genre, je n’ai pas l’intention de me foutre en danger en me frottant à la Team Rocket. Mais cette seconde promesse…

Hm…

Hm ?

Où suis-je ?

Je marchais à l’aveugle, laissant mon instinct m’emporter au gré du vent, mais à mieux y regarder, peut-être que mon corps n’a pas choisi la bonne boussole.

Des rues étroites, tracées par les nombreux immeubles de ce qui me semble clairement être une cité.

Le District Ouest. Aussi connu sous le nom de District Résidentiel.

Il s’agit de la zone la plus habitée de Céladopole, et, pour cause, ce district est quasiment totalement composé de cités et de grands quartiers résidentiels.

C’est ici que vivait la première ainsi que la deuxième victime du Chrysanthème.

Pff… Ça valait bien la peine d’y réfléchir, au final, mon subconscient avait déjà décidé de trahir la confiance d’Abdul.

Désolé collègue, mais entre ton bien-être et le mien, le choix est vite fait.










Cité des Violettes, bâtiment 2, porte 10.

La porte de l’appartement est bloquée par une de ces bandes jaunes et noirs utilisées par la police.

Malheureusement pour eux, la seule chose que cette bande bloque réellement, c’est la peur des gens qui n’ont jamais bravé l’interdit.

J’attrape alors un trombone qui traîne dans mon sac, commençant à travailler la serrure après m’être assurée que personne ne vienne.



Un instant.

Je me retourne, voyant des ombres bouger sur le sol en bas des escaliers.

Il y a du monde.

Je vais descendre et faire mine d’attendre quelqu’un le temps qu’ils partent.

Ou du moins, tel était mon plan, jusqu’à ce que je voie le visage des personnes dont je me méfiais : Claire et Erika.

“AH ! Euh… Chris… Drôle de coïncidence ! Haha…”

“Depuis quand vous me suivez ?”

“Depuis que tu es sortie de l’école.”

Erika lance un regard froid à Claire, qui vient d’avouer leur crime.

“Ç.. Ça fait quelques jours maintenant que tu agis bizarrement ! J’ai essayé de te demander ce qu’il se passait, mais tu m'as totalement ignorée…”

Je ne m’en étais même pas rendu compte…

“Du coup, tu as décidé de me suivre ?”

La jeune fille acquiesce timidement, comme une gamine honteuse, attrapée la main dans le sac.

Je suppose que ma petite enquête devra attendre.

“Bon allez, venez, on bouge.”

Cependant, Claire se déplace en face de moi, me bloquant le passage.

“Qu’est-ce qui te prend ? J’ai dit « on bouge ».”

“On ne bougera pas tant que tu ne nous auras pas tout dit.”

“Hah…?”

Qu’est-ce qui lui prend à celle-la ? On n'est même pas amis. Au contraire, elle me déteste et je ne la supporte pas.

“Dame Erika est inquiète. Et cela l’empêche de s’épanouir dans l’académie.”

Oh. Je vois le délire.

“Claire, tu vas finir par me rendre stérile à force de me les briser. Alors arrête un peu de lécher l’cul d’Erika et fous-moi la paix.”

Le visage de la binoclarde s’empourpre peu à peu de rage, mais notre chère « Dame Erika » finit par intervenir.

“ARRÊTEZ, BON SANG !!!”

Un silence de mort prend possession des lieux.

Heureusement que les habitants de l’immeuble bossent à cette heure-ci…

“Vous-vous disputez tout le temps, c’est insupportable !!! Pourquoi faut-il toujours que vous soyez hostiles l’une envers l'autre ?!! À croire que vous vous détestez alors que c’est totalement faux !!!”

“Erika… Je suis désolée de te l’apprendre comme ça, mais moi et Claire, on se déteste vraimen-”

“Je n’ai pas fini, Chris !!! Claire était inquiète pour toi, elle aussi !! Elle a juste beaucoup trop d’ego pour l’admettre, mais elle ne passerait pas autant de temps avec toi si elle ne t'appréciait pas un minimum !!! Elle te dit même bonjour le matin !”

Si par « dire bonjour » elle fait référence à toutes les fois où cette binoclarde se moque de mon air macabre, alors je doute que cela compte comme une preuve d’amour.

Attends, pourquoi est-ce que Claire détourne le regard telle une demoiselle en situation d’embarras ?

…tu te fous de ma gueule.

“Quant à toi, je sais comment tu fonctionnes, Chris. Si tu détestais vraiment Claire, ça ferait bien longtemps que tu l’aurais « persuadée » de ne plus s’approcher de nous !!”

C.. C’est vrai… Pourquoi je n’ai pas pensé à lui casser la gueule plus tôt ?

“Bref, au final, ce que vous ressentez l’une pour l’autre, ce n’est pas de la haine. C’EST JUSTE DE LA JAL…”

Erika fait une pause, se rendant compte de ce qu’elle était sur le point de dire, mais décide tout de même de finir sa phrase.

“...j.. jalousie.”



..

.

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!!!

C’est quoi cette situation ultra gênante tout à coup ?!!

Les deux autres filles se cachent le visage, rougissant probablement de honte entre celle qui vient de se définir comme une princesse et l’autre qui s’est mangée ses quatre vérités.

Un menu auquel j’ai malheureusement eu le droit également. Et je me permets de vous le dire, il est putain d’épicé vu le niveau de brûlure que je ressens au visage.  

En plus de perdre un huitième de mes points de vies, j’ai probablement eu un malus d’attaque d’au moins cinquante pour cent. Je n’ose plus rien dire.


Une fois calmée, notre princesse johtonnaise décide, sagement, de changer de sujet.

“Si je ne me trompe pas, c’est ici que vivait l’une des victimes du Chrysanthème…”

Son obsession pour les faits divers devient de plus en plus gênante.

“Chris, ta famille habite dans le District Central, non ? Qu’es-tu venue faire ici ?”

Qu’est-ce que je fais ? Est-ce que je leur raconte tout ? L’histoire est plutôt longue et les habitants de l’immeuble vont bien finir par rentrer chez eux à un moment donné.

Je décide donc de la faire courte.

“Je voulais juste confirmer un doute que j’ai vis-à-vis de cette affaire. Il y a des infos que les flics n’ont pas. C’est ça qui me perturbe depuis quelques jours.”

“Pourquoi ne pas juste en parler à la police ?”

“Parce que ce sont des bons à rien ? T’as bien vu le résultat de leur intervention à l’École Marguerite. Moins ils en font, mieux ils se portent.”

Je sens que Claire se retient de répondre. Les mots de tout à l’heure d’Erika ont dû la calmer un bon coup.

“Bref. Je veux juste être sûre que cette affaire ne concerne pas une certaine personne que je connais. Ça ne devrait pas prendre trop de temps, et de toute façon les keufs ont fini d’enquêter ici.”

Erika commence alors à monter la cage d’escalier, se tournant vers nous.

“Dans ce cas, ne perdons pas plus de temps. Allons enquêter !”

“Euh… Ce n’est pas un jeu, tu sais. On parle d’un tueur en série, là.”

“Justement. C’est pour ça qu’on ne peut pas te laisser seule. Claire fera le guet en bas de l’immeuble.”

“Dame Erika, sauf votre respect, ce que vous-vous apprêtez à faire est totalement illégal…”

“Je sais. Sinon je ne t’aurais pas demandé de faire le guet. Chris nous le revaudra.”

Cette fille est complètement dingue. Mais je ne me vois pas lui refuser son aide. Non pas que j’en ai besoin…

Mais leur présence me réconforte.










J’ouvre enfin la porte de ce fichu appartement. Et à peine ouverte, quelque chose saute aux yeux… où devrais-je plutôt dire aux narines ?

Une odeur nauséabonde s'échappe de l’habitation. L’air est tellement étouffant que mon corps s’est automatiquement mis en apnée.

Je lance un regard à Erika pour voir si elle est toujours sûre de vouloir me suivre là-dedans.

Bien que son expression trahit une volonté de vomir irréductible, mon amie n’a pas l’air prête à abandonner.

Je lui fait donc signe de respirer par la bouche, en essayant d’aspirer le moins d’air possible.

Et ainsi, nous pénétrons dans ce lieu infecté par la mort.


Malgré l’odeur, tout a l’air plutôt propre. La police a déjà commencé le travail de nettoyage.

J’espère qu’ils n’ont pas supprimé toutes les pistes potentielles. Sans perdre trop de temps, j’entame donc mon enquête.  

Fouillant les multiples tiroirs des meubles habillants la demeure, rien ne me saute aux yeux. Factures, papiers, vieux téléphones cassés, ainsi que quelques piles se baladant au milieu de tout ce bazar.  

La victime n'avait pas pour habitude de recycler. Non pas que j’en ai quelque chose à foutre.

Ses étagères n’ont rien d'intéressant non plus. Pas de cadre photo. Aucun souvenir. Pas un seul indice le reliant aux Smogs…

Ces types ont vraiment tout fait pour oublier.

Même le calendrier collé au frigo de la cuisine est vierge de toute trace d’encre. Il n'avait rien de prévu pour les jours à venir, et aucune date n'avait de réelles importances.  

C’est presque triste quand on y pense.  En cherchant à tout prix à fuir le passé, il en est arrivé à un point ou même le présent et l’avenir se sont retrouvés effacés.  

La vérité, c’est que cet homme était toujours prisonnier du passé. Il n’a jamais vraiment pu le fuir.

“Je m’attendais au moins à voir des pétales sur le sol, mais la police à vraiment bien nettoyer les lieux, hein…”

Tandis que je me concentrais sur la vie du défunt, Erika semble observer le sol.

“Encore heureux. Déjà que l’odeur est insupportable, je n’ose pas imaginer comment c’était avant.”

“J’espère que nos vêtements ne vont pas s’en imprégner… hm ?”

La jeune fille se couche à même le sol, sur le ventre, essayant de regarder sous le canapé du salon.

“E.. Erika !! Si tu fais ça, c’est sûr que tes vêtements vont-”

“Chris, aide-moi à bouger le canapé. Nos amis du département de police ont négligé leur travail.”


Elle a raison ! Après qu’on ait basculé le meuble, tout un univers de poussière s’est offert à nous.

Et entre toutes ces poussières, des éclaboussures d’une sorte de liquide sombre, aux couleurs violacées.

“Ne touchons plus à rien. C’est le liquide dont parlent les journaux.”

“Chris, c’est quoi cette poudre jaune au milieu des poussières ?”

“J’en sais rien. Du curry ?”

“Pourquoi il y aurait du curry sous le canapé ?”

“Peut-être qu’il en a fait tomber. On s’en fout, non ?”

Soudain, le téléphone d’Erika se met à sonner. Il s’agit de Claire.

“I.. Il y a des gens qui entrent dans l’immeuble !!”

Time out donc. J’attrape la main de mon amie, lui faisant signe de passer par la fenêtre. Elle me fait un non frénétique de la tête, mais je la tire de force derrière moi.

Nous sommes au premier étage, et j’ai déjà localisé une benne à ordures entourée de sacs-poubelles qui feront un parfait point d'atterrissage. Il est temps de sauter !

“WAAAMMPFF—  !!!”

Lors du saut, je place ma main sur la bouche d’Erika afin de l’empêcher d’alerter tout le voisinage.

Pouf !

Crack—

Hah ? J’ai cru entendre quelque chose se déchirer.

Peu importe. J’aide notre princesse un peu étourdie à se relever.

“Ça va ? Rien de cassé ?”

“Ha… Hahaha !!!”

Ça a l’air d’aller…










Après avoir payé une boisson à mes deux acolytes, nous décidons de nous poser dans un parc afin de passer en revue ce que nous avions appris.

“Donc on ne sait rien de plus que ce qui était dans les journaux ? Ça valait bien la peine d’entrer par effraction chez un mort.”

Claire n’a pas tort. Le résultat est pour le moins décourageant. Surtout en vue des risques que nous avons pris.

Mais c’est alors qu’Erika prend la parole.

“C’est normal que nous n’ayons rien de concret pour le moment. Prenons note de ce que nous avons vu et explorons les autres scènes de crime.”

“Tu déconnes ? Si on répète le même schéma, tu peux être sûre que les flics finiront par nous tomber dessus.”

Soudain, Claire, qui arrive enfin à ouvrir sa canette après de longues minutes de galères, se tourne vers moi.

“Maintenant qu’on est là, tu pourrais au moins nous raconter l’histoire au complet ?”

“Claire… Je ne pense pas que Chris ait envie de-”

“Non. Claire a raison. Vous avez pris des risques pour moi. Et puis… vous êtes mes amies… alors…”

Les mots se bloquent dans ma gorge, comme s’ils avaient pris une forme physique.

Mais l’expression sur le visage de Claire, qui est une sorte de mélange entre de la gêne et de la satisfaction, me laisse à penser qu’elle a compris ou j’essayais d’en venir.

Je décide donc de tout leur dire.

À propos des Smogs.

À propos de mon frère.

À propos de moi.












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