Chapitre 33 - Dans les ténèbres immaculées

 V - Parmanie


Chapitre 33 - Dans les ténèbres immaculées

Deux semaines se sont écoulées depuis notre arrivée à Parmanie.

Et bien que ces deux semaines aient été relativement calmes, sans qu’aucun événement ne vienne perturber notre nouveau quotidien, je ne peux m'empêcher de ressentir une certaine agitation dans l’air.

Il ne faut pas que je baisse ma garde.

Aujourd’hui, ma routine se poursuit. Ayant fini de jouer aux profs avec les deux pré-ados turbulentes, je marche dans les rues du village, en direction d’un endroit où manger avant d’enfiler ma casquette d’homme à tout faire.

Je n’arrive toujours pas à croire qu’il aura fallu autant de temps à Anzu pour réussir à faire bouger son mecha sans le faire tomber…

Ce n’est qu’une gamine, mais sa personnalité rend vraiment les choses difficiles. Et ce, encore plus avec Ember à côté.

Bref. Maintenant qu’elle sait se déplacer en mode bipède, il est peut-être temps de lui enseigner les subtilités du mode quadrupède.

Ensuite, elle devra apprendre à se battre dans les deux modes… Combien de semaines cela va encore nous prendre ?

Sans parler de son équivalent au Flare mod : Le Umbre mod. J’attends qu’elle maîtrise son Soldat en état normal avant que l'on ne s’attarde dessus. Mais le fait est que si ce mode diffère trop de celui que j’utilise habituellement, alors je ne saurais pas comment la guider.

Alors que mes pas s’alourdissent à l’idée de faire face à un avenir aussi incertain que terrifiant, une voix familière me parvient.

“Ah.”

Erika. Elle est juste là, en face de moi, aux côtés d’un groupe de personnes âgées. J’aimerais l’ignorer et poursuivre cette journée parfaitement banale, mais son regard indique qu’elle m’a vu… Et qu’elle attend une réaction de ma part.

Ne pas lui donner le peu d’attention qu’elle attends de moi serait stupide. Après tout, nous sommes en froid depuis quatorze jours maintenant. Il serait temps de tourner la page.

“Qu’est-ce que tu fais ?”

“Oh. Euh… Je parlais avec ces gens.”

Les vieilles du village se regardent toutes entre elles, d’un air suspect face à notre difficulté à communiquer.

Après un silence beaucoup trop long, je décide de reprendre ma route, laissant Erika derrière moi, lui souhaitant une bonne journée au passage.

Cependant, une autre personne, encore plus âgée que les autres, sort lentement du bâtiment face auquel Erika se trouve. En me voyant partir, la vieille se met à hurler.

“HITOMI ?!”

…?!

Mon cœur se resserre soudainement, forçant mes jambes à s’arrêter net. Je ressens des sueurs froides parcourir ma peau tandis que ma gorge se noue.

C.. Ce n’est probablement qu'un malentendu… Ressaisis-toi, Azul.

“Cela faisait si longtemps que tu ne nous avais pas rendu visite, ma petite Hitomi !” Dit-elle, crapahutant dans ma direction.

Mes mains tremblent… Stop…

“Mais non, Fuyuko ! Tu vois bien que c’est un homme ! Il s’appelle Azul !! C’est un ami d’Erika, et il a aidé ton fils a retourner le terrain après la cueillette des piments, l’autre jour !”

Une des dames accompagnant ma cousine l'interrompt dans sa course, rappelant mamie à la raison.

“Oh… Excusez-moi. Ma vue n’est plus ce qu’elle était.”

“...Pas de soucis.”

Mon pouls se calme enfin. Cette grand-mère m’a totalement prise au dépourvu. Je suppose que le prénom Hitomi n’est pas si rare ici. Je veux dire, le clan Fuschia partage pas mal de points communs culturels avec Johto après tout…

Soudain, je ressens une main se poser sur mon dos. En me retournant, je vois le visage d’Erika. Elle semble inquiète.

“Ça va…?”

Elle a vu mon inconfort ? Je pensais pourtant avoir bien maîtrisé mes émotions…

“Tu n’as pas encore mangé, pas vrai ? Je peux me joindre à toi ?”

“...Fais comme bon te chante.”










Le village de Parmanie ne comprend pas beaucoup de restaurants. Le nombre se compte sur les doigts d’une main. Sur un seul doigt même.

Il existe d’autres endroits où on peut commander de la nourriture, mais aucun ne sert des « vrais plats ».

Bref, installés au fond de la salle avec Erika, nous commandons le plat du jour. La nourriture ne tarde pas à arriver à notre table.

“Tu manges toujours ici, pas vrai ?”

J’acquiesce en réponse à la jeune fille, commençant à entamer ma part de quiche.

“Les ouvriers du village mangent tous ici. C’est un bon endroit pour créer des liens.”

En prononçant cette phrase, mon regard se perd en direction du groupe d’ouvriers avec qui je mange habituellement. Ils me regardent tous en riant bêtement, sifflant par moment. L’un d’entre eux me lançant un clin d'œil.

Qu’est-ce que je suis censé en déduire…?

“Je comprends ce que tu veux dire. Personnellement, j’ai pris l’habitude de manger avec les anciennes du village. Elles ont toujours plein d’histoires intéressantes à raconter !”

“Elles semblent t’apprécier, en effet.”

“C’est surtout car je fais partie du clan Kimono. Depuis toujours, nos deux clans entretiennent une relation amicale. Il n’est pas si rare qu’une des nôtres passe par ici lors de son apprentissage.”

Je vois qu’elle n’a pas chômé. Lorsque nous sommes arrivés, Erika ne savait même pas que cet endroit existait. Et maintenant elle en sait beaucoup plus que moi à propos de ce village.

Mais maintenant qu’elle en parle, j’en arrive à me demander si ce qu’il s’est produit tout à l'heure, avec la vieille dame, n’était qu’une coïncidence…

Et si cette Hitomi dont elle parlait était un membre du clan Kimono, également…?

“Woah ! Leurs quiches sont délicieuses !”

L’exclamation de joie d’Erika vis-à-vis de la nourriture me ramène à la réalité. Je ferais mieux de manger avant que la mienne ne refroidisse.

“Au fait, Ember a été acceptée dans l’école du village, non ?”

“Depuis une semaine maintenant.”

La jeune femme commence alors à paniquer, une bouchée de sa tarte cherchant à l’assassiner semblerait-il.

Je lui tends son verre d’eau, qu’elle s’empresse de vider, avant de hurler.

“UNE SEMAINE ?!”

“Erika… Tu me fais honte.”

Son visage s’empourpre tandis qu’elle s’essuie la bouche avec sa serviette, dans un geste qui la ferait presque passer pour une fille noble. Un léger « désolé » s’étouffant dans le morceau de papier posé contre ses lèvres.

“Ember déprime depuis que nous avons quitté la capitale. D’où le fait qu’elle ne t’en ait pas parlé.”

Ses couleurs s’estompent peu à peu, tandis que le silence s’installe de nouveau à notre table.

Il n’est pas dur d’imaginer ce à quoi elle pense actuellement. Et franchement, je ne connais pas les mots qui seront capables de la convaincre qu’elle ne doit pas culpabiliser. Cependant, pour ma propre conscience, je décide quand même de tenter ma chance.

“Nous sommes des fugitifs de base. Ce qui est arrivé à Céladopole n’a fait que précipiter l’inévitable. Alors ne t’en fais pas. Elle finira par s’y faire.”

Ne semblant pas plus rassurée, Erika me répond avec un sourire forcé, le tout en détournant le regard.

“J’essaierais quand même de lui en parler…”

Alors que la jeune Kimono prononce ces mots, son regard s’illumine à nouveau. Il semblerait qu’elle ait reçu une illumination venue de nulle part.

“Mais oui ! Je devrais lui raconter les histoires que j’ai entendues de la part des aînées du village ! La connaissant, ça devrait la booster un bon coup !!”

Je ne suis pas sûr que des ragots de vieux puissent stimuler une gamine comme Ember…

Erika regarde à droite et à gauche, la rendant beaucoup trop suspecte. Elle se penche alors sur la table afin de me chuchoter la suite de son histoire.

“Elles m’ont dit que c’était un secret dans le village, mais apparemment, le clan Kimono ne servirait pas que de pont entre les Fuschia et Johto. As-tu déjà entendu parler du « Spectrum » ?”

J’ignore si ce qu’elle essaie de dire est réel ou non, mais si c’est bel et bien une vraie info, cela me semble être le pire endroit pour en parler.

Attrapant un morceau de sa quiche avec ma fourchette, je m’empresse d’enfoncer celui-ci dans sa bouche à l’instant où celle-ci se décide de l’ouvrir à nouveau. Évidemment, le morceau est beaucoup trop gros pour qu’elle puisse oser parler la bouche pleine.

Les sifflements intensifs et les applaudissements des ouvriers m’aident ensuite à couvrir le bruit de ce que je vais chuchoter en retour à mon idiote de cousine.

“Erika, les informations concernant le clan Fuschia sont toutes confidentielles. Elles ne sont pas censées sortir du village. Peu importe les raisons qui ont poussé ces vieilles à te parler de ces choses-là, tu dois faire très attention à ce que tu dis, et à l’endroit où tu les dis.”

Essayant de ravaler sa salive, la jeune fille finit par engloutir l’énorme morceau de quiche avec lequel je la bâillonnais. Cette fois-ci, son visage devint rapidement bleu. Ce sera au tour de mon verre d’eau de lui sauver la vie…




















Après ce repas riche en émotion (durant lequel j’ai quand même frôlé la mort deux fois…), je décide de me promener au niveau des bordures du village.

Depuis que je suis ici, il y a comme une atmosphère de vacances dans l’air. Je passe mes journées soit à réviser, soit à jouer aux cartes avec les femmes âgées du village, écoutant leurs histoires avec grand intérêt.

Cela faisait un moment que mon cœur ne s’était pas submergé dans cette douce sensation d’excitation. Mais aujourd’hui, j’ai de nouveau ressenti cette émotion. Durant le repas.

Lorsqu’Azul m’a prévenu du danger que je courais en partageant les informations obtenues à Parmanie.

Alors qu’une peur inconnue s’empare de moi, je m’arrête, posant une main sur ma poitrine. Est-ce que ce n’est pas malsain… De se sentir aussi bien face au péril ?

J’ai l’impression que si je ne me contrôle pas, mes émotions risqueraient de prendre le dessus, m’incitant à faire quelque chose de vraiment stupide.

Tournant mon regard en direction de la forêt, mon esprit se perd dans l’épais brouillard qui la recouvre.

Cet endroit est réputé pour être le lieu le plus dangereux du pays…



……

………

BADUMP—

Urgh…!

Je tombe à genoux, une main tenant toujours ma poitrine tandis que l’autre empêche le haut de mon corps de rencontrer le sol.

Mon souffle se saccade alors qu’une forte sensation acide me brûle la gorge.

J’ai envie de pleurer tant j’ai honte… Honte de cette femme vulgaire et pitoyable que je suis en train de devenir.

Je ferais mieux de rentrer et reprendre mes cahiers. Il faut que je m’occupe l’esprit le plus possible.










“Erika ? Tu ne viens pas jouer ?”

“Je peux pas…”

“Pourquoi ?”

“Mes grandes sœurs ont dit que je suis trop imp…euh… importante ?”

“Imprudente, tu veux dire ?”

“Oui ! Ça !”

“Mais tes sœurs sont à Johto. Et puis je suis là pour m’assurer que tout se passe bien.”



Mes yeux s’ouvrent lentement, tandis que la douce lumière du crépuscule tente désespérément de s'infiltrer dans la pièce.

“Azul…”

Bercée à la fois par l’ambiance relaxante de la pièce, ainsi que mon envie de retourner dans ce rêve, je referme mes yeux, serrant mon cahier contre moi.

Hein…? Mon cahier ? Je me suis endormie sans avoir révisé une seule ligne ?! Comment vais-je faire pour dormir ce soir ?!!

Je lance mon regard en direction de l’horloge murale. Dix-neuf heures cinquante. C’est étrange… J’ai l’impression que personne n’est à la maison à part moi.

Et après vérification, mes doutes se confirment. Je suis seule. Est-ce qu’ils sont partis manger à l’extérieur ?

J’ai un mauvais pressentiment…

En sortant, je tombe nez à nez avec mon cousin. Ember n’est pas avec lui… Et à en croire l’expression sur son visage, il ne semble être au courant de rien.

“Azul, tu sais où est Ember ?”

Son regard s'assombrit rapidement, tandis que l’ambiance devient de plus en plus lourde.

“Elle n’est pas rentrée ?”

“J’ai fouillé toute la maison. Aucune trace d’elle.”

Le jeune homme serre le poing, retenant sa frustration. Soudain, après avoir crié “merde”, il se retourne et part en courant dans les rues du village.

Je ferais mieux de l’aider à la chercher ! Après avoir enfilé mes bottes, je pars dans la direction opposée. Si Azul cherche dans le village, alors je vais voir au niveau des bordures.


“Ember ?! Où es-tu ?!!”

Les minutes défilent tandis que je crie le nom de la jeune fille tout en restant alerte.

J’espère qu’il ne lui est rien arrivé… Et si une personne mal intentionnée l'avait kidnappée ? …Ok, non. Elle ne se laisserait pas faire. Surtout, maintenant qu’elle peut faire appel au Proto-Vyzard.

Puisque nous n’avons pas encore vu son Soldat survoler les environs, cela veut probablement dire qu’elle est en sécurité.

Mais dans ce cas… Ah ! Ember !!

J’arrête mon cheminement de pensée, voyant que la fille que je recherche se trouve en face de moi, à une trentaine de mètres.

Elle semble fixer quelque chose dans la forêt, et avant que je n’ai le temps de l’appeler à nouveau, celle-ci se met à courir en direction des bois.

“Ember ! Non !!!”

Je tente de la poursuivre, mais cette gamine est vraiment trop rapide. Nous nous enfonçons toutes les deux dans la brume. Il ne me faut que quelques secondes pour que je la perde totalement de vue.

“Bon sang… EMBER !!!”

Il faut que je me calme et que je réfléchisse. Ma vue est totalement obstruée, il faut donc que je me guide avec autre chose. Mon ouïe peut-être ?

Pas sûr que ce soit vraiment mieux… Cette forêt est un véritable champ de mines. Le moindre faux pas pourrait me valoir une chute vers ma mort.

Un instant. Ce que je viens de dire s’applique aussi à Ember ! Et je ne pense pas que son robot soit capable de la sauver d’un tel destin.

Vite ! Il faut que je la retrouve !

.

..



Cela fait plus de deux heures maintenant que je marche dans ces ténèbres blanchâtres.

Je suis épuisée. Physiquement et mentalement.

Pourquoi l’ai-je suivie dans cette fichue forêt…? C’était stupide de ma part. Le choix logique aurait été d’appeler de l’aide.

Mes jambes refusent d’obéir à mes ordres. Elles me font trop mal. Et lorsque je tente désespérément de soulever l’une d’entre elles avec mes mains afin de forcer un pas, mon équilibre se brise totalement, me faisant tomber au sol.



C’est étrange. Bien que je sois en danger, mon coeur ne s’emballe pas.

Je pense savoir… Ce n’est pas une aventure. Cette situation n’est que le fruit de ma bêtise. Il n’y a rien d’excitant ici. Et si je meurs dans ces bois, je n'apporterais que des soucis aux autres. Comme d’habitude…

Chris et Claire ont disparu. Ember a tout perdu. Azul se tue à la tâche. Tout ça, c’est de ma faute. Je pourris la vie de ceux qui m’entourent. Car je suis stupide, et faible.

Me mettant en boule sur le sol, je laisse mes larmes me chauffer les joues lors de leur passage sur celles-ci.


Le temps défile, et je n’ai toujours pas bougé d’un centimètre. Enfermée dans ma bulle de désespoir, je fixe la brume, mes larmes séchées depuis longtemps, chuchotant en boucle les noms de ceux qui me sont chers d’une voix cassée.

“Mais tes sœurs sont à Johto. Et puis je suis là pour m’assurer que tout se passe bien.”

“Azul… Merci d’être là pour moi…”

“Tu m’as fait part de tes sentiments, alors je te partage les miens également. À mes yeux, tu n’es rien de plus qu’une inconnue”

“Je vois… tu dis cela pour me protéger, pas vrai…?”

“Tu fais partie des quelques personnes que je souhaite protéger par-dessus tout, Erika. C’est pourquoi je ne t’échangerais jamais contre qui que ce soit.”

“...azul… Je suis tellement désolée…”

Depuis que nous sommes enfants, il a toujours été de mon côté, peu importe que j'ai raison ou tort.

Il a toujours été un symbole d’espoir pour moi. Si quelqu’un devait me trouver dans cette forêt maudite, ce serait certainement lui…

Mais au fond, je ne sais pas si je souhaite réellement être sauvée. Après tout, qu’est-ce qui m’attends en dehors de ces bois ? Une vie sans mes amies, dans laquelle je ne suis qu’un fardeau pour Azul et Ember. Une vie dans laquelle je dois répondre aux expectations de l’Académie. Du clan. Ces femmes qui ont déjà décidé pour moi de ce dont serait fait mon destin.


“Une gamine ? Hey ! Qu’est-ce que tu fous ici ?”

Cette voix… Ce n’est pas celle d’Azul. Je lève le regard en direction du son, les bruits de pas de ce qui semble être le propriétaire de ce timbre gras.

Rapidement, le corps d’un colosse s’extirpe de la brume. Une véritable montagne de muscles. Son visage semble sculpté dans la roche, avec une mâchoire carrée et des yeux enfoncés. Il arbore un air fatigué dans son regard, ses cheveux blonds et sales retombant sur son visage.


[Vert Feuille] Mechamon Iris - Page 4 Chapit14


“Qui êtes-vous ? Vous ne faites pas partie du clan Fuschia.”

“Je vois que tu connais le clan Fuschia. Mais tu ne sembles pas en faire partie non plus. T’es une de leurs invitées, gamine ?”

Je suis trop fatiguée pour réfléchir. Et de toute façon, les chances pour que quelqu’un d’autre me retrouve sont minces. Autant lui expliquer la situation…

“Je suis un membre du clan Kimono. Malheureusement, j’ai été suffisamment stupide pour poursuivre une gamine dans cette forêt, et maintenant me voilà perdue.”

Le regard de l’inconnu s'assombrit en écoutant mon histoire. Comme si j’avais prononcé un mot qui ne lui plaît pas.

“Ce serait con que le clan Kimono perde un de ses membres à Kanto. Nous avons suffisamment d’emmerdes comme ça.”

En saisissant mon bras, celui-ci me tire afin de me forcer à me lever. Malgré le fait que je n’aie pas bougé depuis un moment, je ressens une vive douleur dans mes muscles, me rappelant de la raison pour laquelle j’étais au sol à la base.

“Tu as mal ? Tant mieux, cela veut dire que tu es toujours en vie.”

Il n’a techniquement pas tort, mais j’aurais aimé avoir un peu plus de considération de sa part…

Alors que je m'apprête à lui redemander son nom, une nouvelle voix, plus jeune, retentit non loin.

“Major ! Nous avons un rapport du clan Fuschia ! La bataille de ce soir est annulée dû à un accident du côté du village !”

Major ?

“Le Spectrum ne viendra pas… C’est bien ma veine. Contactez-les et dites-leur qu’on a trouvé une gamine Kimono. Qu’ils nous donnent un point de rendez-vous.”

Le Spectrum ? Un instant, qui sont ces gens ?!










Après avoir attendu de très longues minutes dans un silence pesant, le messager de tout à l'heure revient avec une réponse du village.

Le major me force à marcher avec lui et deux autres hommes vêtus d’un habit d'entraînement militaire, en direction du point de rendez-vous.

Je précise bien qu’il me force, car s’il ne me criait pas dessus pour que j’avance, j’aurais probablement déjà abandonné six fois en vue du sentiment de torture que me procure le simple fait de marcher.

Alors que nous évoluons dans cette fumée pâle, je prends conscience de leur capacité à traverser cet endroit. C’est comme s’ils connaissaient la forêt par cœur.

Azul aussi semblait bien connaître la topologie de la forêt lorsque nous l’avons traversé, la première fois.

Il est peut-être un peu tard pour m’en rendre compte, mais je suis vraiment entourée de personnes incroyables.

“Nous y voilà.”

Suivant les mots du major, soudain, l’air se purifie. Nous sommes entrés dans une zone où le brouillard est beaucoup moins épais.

Cette clairière… ce ne serait pas l’endroit où nous avons été accueillis la première fois ?

Ah !

Au centre de celle-ci, baignant sous la lumière lunaire, se trouve un homme encapuché. Mais je le reconnais malgré tout. Il s’agit d’Azul !

“On vous a ramené la gamine.”

Azul ne répond pas, ce qui semble énerver le major, qui me fait quand même signe d’avancer.

La distance nous séparant est un enfer à parcourir, mais je parviens quand même à trouver la force nécessaire, en moi, pour rejoindre le jeune homme.

Une fois à ses côtés, je tente de m’excuser, mais il me fait signe de ne rien dire pour le moment.

D’un mouvement de la tête, Azul remercie le major et ses hommes. Mais l’homme blond ne semble pas satisfait.

“Je ne sais pas pourquoi, mais j’aime pas beaucoup votre attitude. C’est comme si vous cachiez quelque chose.”

Voyant qu'il ne répond toujours pas, le major tente de se rapprocher, mais deux ombres sortant des bois l’intercepte. Ce sont des ninjas du village !

Frustré, le militaire fait un pas en arrière, donnant l’ordre à ses hommes de se replier, le tout sans lâcher Azul du regard.

Une fois partis, les deux ninjas retournent à leur poste, nous laissant seuls dans la clairière.

“......”

“...Désolée. Je ne fais que te causer des soucis…”

“Effectivement.”

La voix du jeune homme est froide. Plus que d’habitude. Je peux sentir qu’il est en colère.

Pendant quelques secondes, un silence pesant s’installe. Ces quelques instants suffisent pour que mes pensées sombres ressurgissent. Mais la voix d’Azul finit par briser ce silence.

“Le clan Fuschia ne semble pas vouloir vous en tenir rigueur. Ni à toi, ni à Ember. Mais ils m’ont demandé de ne plus vous laisser seules.”

J’ai honte… Une fois de plus, c’est lui qui paie les conséquences de mes… un instant !

“Ember ! Elle va bien ?!”

“Quelqu’un du clan l’a trouvée alors qu’elle dormait dans la forêt. Je n’ai pas encore eu le temps de lui parler.”

Je soupire, à la fois car je suis rassurée qu’elle aille bien, mais aussi d'exaspération. J’ai bien l’intention de lui en toucher deux mots également…

“Allez. Rentrons.”

Sur ces mots, le jeune homme plie ses genoux, tendant ses bras en bas de son dos. Cette posture… Est-ce qu’il veut me porter ?!

“Ah ?!  Euh… T’en fais pas ! Je vais marcher !!”

Son regard azuré, perçant l’obscurité nocturne, se bloque sur le mien. Je vois. Il a remarqué que je souffrais lorsque j’ai marché dans sa direction, tout à l'heure.

“Dépêche-toi avant que je ne change d’avis.”

Le ton dans sa voix est toujours aussi froid, témoignant de son impatience. Mes joues me brûlent de gêne, mais je devrais accepter avant qu’il ne s’énerve… Et puis mes jambes me font vraiment mal.


Bercée par le son du vent sur les feuillages, je repose ma tête sur le dos d’Azul. Mon cœur bat si fort que c'en est presque douloureux. Est-ce une sorte d’aventure que je suis en train de vivre à cet instant précis ? Je ne comprends pas totalement…

“A.. Azul… Tu me le dis si je suis trop lourde, hein…?”

“Tu as un poids parfaitement normal pour une fille de ton âge.”

“Ce n’est pas ce que je voulais dire…”

Mon visage s’empourpre davantage alors qu’il ne semble pas comprendre la position dans laquelle il me met actuellement. Sérieusement, est-ce que ce garçon a déjà été gêné, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie ?

Je décide donc de changer de sujet. Si je ne me calme pas, j’ai peur de faire une crise cardiaque…

“Dis, pourquoi tu n’as pas répondu lorsque le major te parlait tout à l’heure ? Tu connais son groupe ?”

Le jeune homme reste silencieux quelques secondes, comme s’il était perdu dans ses propres pensées.

“Je sais qui ils sont, oui. Et surtout, ils savent qui je suis.”

C’est donc pour cela qu’il ne disait rien ? Par peur qu’ils reconnaissent sa voix ? Je me demande ce qu’il s’est passé entre lui et le major pour qu’Azul soit autant sur la défensive.

“Ce sont tes ennemis ?”

“J’en sais rien. Et je n’ai pas envie de savoir.”

Il serait peut-être plus sage de parler d’autre chose. Après un long moment de réflexion, je reprends conscience de la situation actuelle. Azul est venu me chercher en pleine nuit, dans la forêt, faisant face à des gens qu’il n’aime pas, et maintenant, il se retrouve à devoir me porter jusqu’au village.

Et j’ose être heureuse de vivre ce soi-disant moment d’intimité en sa compagnie ? Je suis vraiment une femme pathétique…

“Azul… pose-moi s’il te plaît…”

“Nous sommes bientôt arrivés.”

Je serre mes mains sur ses épaules, mon visage se déformant dans une expression de tristesse et de colère envers ma propre personne.

“J’en ai marre d’être un poids mort…”

“Tu n’es pas un poids mort, Erika.”

Ma voix s’enfonce de plus en plus dans ma gorge, alors que je sens mes yeux se remplir de larmes à nouveau.

“C’est faux…”

“Si c’était faux, tu ne serais pas autant aimée. Tu es une fille gentille et courageuse. Il est vrai que ça ne te ferait pas de mal de réfléchir un peu plus avant d’agir, mais tu es encore en train de grandir en tant que personne.”

Azul…? D'où est-ce qu’il sort tous ces compliments ?

“Bref. Tente d’apprendre de tes erreurs. C’est la chose la plus importante à faire si tu souhaites t’améliorer.”



“Merci…”

Posant de nouveau mon visage contre son dos, je laisse le tissu de sa veste absorber mes larmes. Pour une raison que j’ignore, j’aimerais qu’un jour il puisse être fier de moi.

À partir de demain, j’essaierais de devenir une meilleure version de moi-même.




Commentaires