Chapitre 34 - Tapis dans l’ombre

 V - Parmanie


Chapitre 34 - Tapis dans l’ombre

Sept heures du matin.

Les piaillements des roucools résonnent dans les rues du village de Parmanie, alors que celui-ci baigne sous la douce lumière du soleil.

De mon côté, je profite de ce moment de calme, avant l’heure des cours de pilotage d’Anzu, afin de faire face à notre préadolescente.

Nous sommes tous les trois assis autour de la table, dans la salle commune, avec Erika. L’air étant si dense qu’il en devient presque palpable.

Ember baisse la tête, évitant à tout prix mon regard. Je sais qu’elle n’est pas fière, mais je n’ai pas l’impression qu’elle soit prête à s’excuser.

Quant à Erika, celle-ci se tient droite, un sentiment d’inconfort se dégageant de sa posture. A-t-elle encore mal aux jambes ? Ou c’est cette situation qui la met mal à l’aise ?

Peu importe. Je décide d’enfin démarrer le dialogue, maintenant que l’ambiance est posée.

“Alors, qu’est-ce que tu foutais dans la forêt ?”

D’une voix faible, la gamine me répond, son regard toujours aussi fuyant.

“Je suivais Anzu…”

De toutes les excuses qu’elle pouvait trouver, il fallait qu’elle choisisse quelque chose d’aussi peu crédible…

La forêt est interdite de nuit, et ce même pour Anzu. Les raisons ne sont pas claires, mais je suppose que c’est en rapport avec la présence des troupes du Major Bob dans celle-ci.

Lorsque nous sommes rentrés, hier soir, Erika m’a parlé d’un certain « Spectrum ». Selon les vieilles du village, il s’agirait d’un assassin légendaire, au service du clan Fuschia depuis sa fondation. Nul ne sait à quoi il ressemble, tout ce que l'on sait, c’est que sa puissance serait surhumaine. Le clan Kimono aurait aussi un rôle dans cette histoire.

En temps normal, je dirais que cette histoire est ridicule, mais Erika a précisé que le major a fait mention de ce Spectrum, hier, lorsqu’ils l’ont secouru.

Supposons que cette histoire soit vraie… Alors l’âge de cet assassin se compterait en siècles ? Je sais que le clan Kimono est également réputé pour avoir des membres en son sein qui auraient des pouvoirs surnaturels, mais de là à faire vivre quelqu’un aussi longtemps…

Erika et Ember me regardent enfin, attendant une réaction de ma part. Je me suis peut-être un peu trop éloigné du sujet principal…

“Dis la vérité, Ember.”

“MAIS JE DIS LA VÉRITÉ !!!” Crie-t-elle, frappant la table de ses deux poings.

Ma cousine tente de la calmer, posant une main sur son épaule, mais la jeune fille la repousse instantanément, se levant brusquement de sa chaise.

“J’en ai marre ! En ce moment, tout est super nul !! Le matin, on apprend à piloter un robot qui n’est pas le mien, pour faire plaisir à une fille super méchante ! L'après-midi, je dois aller dans une école remplie de petits, je n’ai personne avec qui m’amuser et on me met à part, car j’suis pas du village !! Et quand je rentre, vous-vous en fichez, vous continuez de faire vos trucs dans votre coin !!!”

Merde… Je l’ai négligé pendant trop longtemps. J’avais oublié qu’Ember était une fille extrêmement émotive, malgré le fait qu’elle soit aussi tête en l’air.

“Hier… Je n’avais pas envie de rentrer. J’ai donc été faire un tour dans le village pour me changer les idées. Mais lorsque j’ai vu qu’il commençait à se faire tard et que je devais rentrer, j’ai vu Anzu entrer dans la forêt !”

“Tu as donc décidé de la suivre ?” Je demande, lui faisant comprendre clairement grâce à mon ton de voix que cette décision était stupide et injustifié.

“E.. Elle avait l’air bizarre ! Et puis j’ai mon super robot ! Il ne peut rien m’arr-”

Cette fois-ci, c’est moi qui frappe du poing sur la table, lançant un regard froid à la jeune fille. Ses épaules se mettent à trembler instantanément en réponse.

“On en a déjà parlé. Tu ne dois pas utiliser cette chose sans mon autorisation.”

J’arrive à lire le sentiment d’injustice dans son regard, mais son plus grand atout pourrait facilement devenir notre plus gros problème si elle s’en sert n'importe comment.

TOC— TOC—

Quelqu’un frappe à la porte. Vu l’heure, c’est sans doute mon élève avec son escorte.

Erika, toujours aussi nerveuse, se lève rapidement afin de leur ouvrir la porte, manquant de se casser la gueule en trébuchant contre sa chaise…

“Anzu ! Désolée, on était au milieu d’une… dispute ?”

Aki et Anzu se tiennent face à la porte d'entrée. Et si la femme aux cheveux d’argent semble toujours aussi joyeusement insupportable, Anzu, quant à elle, pousse Erika sur le côté, s’invitant chez nous.

“Azul. On n’a pas le temps pour vos disputes. Tu as des cours à me donner.”

Cette fille est vraiment incapable de voir plus loin que le bout de son nez… Et son comportement semble renforcer la haine qui se dégage du regard d’Ember.

Mais maintenant que j’y pense, il y a peut-être un coup risqué à tenter. Dans le meilleur des cas, ils me trouveront juste déplacés. Et dans le pire des scénarios… Non, je doute que les choses aillent aussi loin.

Dans tous les cas, il me faut une confirmation, aussi indirecte soit-elle.

“Dis-moi, Anzu. Tu ne serais pas entrée dans la forêt hier, aux alentours de vingt-heures ?”

En prononçant chaque mot, j'analyse bien le langage corporel de la jeune fille.

Elle fronce les sourcils. Son corps est toujours aussi détendu. Et surtout, le temps d’attente dans sa réponse n’a rien d’irrégulier.

“Vingt heures ? Je dors à cette heure-ci.”

Aussi surprenant que cela puisse paraître, surtout pour une fille comme elle, Anzu dit la vérité. Cependant, quelque chose m’intrigue. Si Anzu ne ment pas, alors pourquoi Aki m’a semblé aussi froide l’espace d’un instant ?

Mes poils se sont redressés instantanément, comme un sentiment de danger, qui fut rapidement dissimulé par son sourire habituel.

Cette femme nous cache quelque chose. J’en suis persuadé.

“Sale menteuse ! Je t’ai vu hier !!”

Ember ?! Bon sang… J’ai totalement oublié de reprendre le contrôle de la conversation !

Le regard d’Anzu se pose sur la jeune fille, alors que celle-ci arbore une expression mélangeant colère et surprise.

“HEIN ?! La forêt est interdite de nuit, et je n’ai même pas le temps de rentrer de l’école que je dors déjà !! Si tu m’as vu, c’est que soit tu as halluciné, soit c’est toi la menteuse !!! Dans les deux cas, tu es complètement folle de m’accuser de la sorte !!!”

“Je ne suis pas folle ! J’ai—”

“Ember.”

D’une voix autoritaire, j'interromps la jeune fille avant qu’elle n’empire la situation d’avantage. Je n’aime pas ça, mais à choisir entre la vexer davantage, et vexer la femme aux cheveux blancs qui se tient au seuil de l’entré, une aura malsaine l’entourant un peu plus a chaque minute qui s’écoule, autant dire que je préfère largement faire face aux colères d’une gamine.

“Excusez-la. Elle a probablement confondu la silhouette d’Anzu avec autre chose.”

Tandis qu’Aki force un sourire qui lui déformerait presque le visage, Anzu se contente de soupirer longuement, reprenant son air supérieur habituel.

“C’est pour ça qu’on dit aux enfants de ne pas fixer la brume trop longtemps. Ils finissent par se faire peur tout seuls !” Affirme la petite kunoichi, dans un ton qui sens pas mal le vécu…

Mais alors que les choses semblent enfin se calmer, Ember pousse violemment sa chaise, quittant la maison en courant, bousculant ceux qui sont sur son passage.

D’une part, je sais que j’ai fait le bon choix. Mais n’aurais-je pas pu éviter cela…?

“Azul !!!”

La voix d’Erika me rappelle à la raison. Je ne dois pas laisser Ember seule. Non… Je ne veux pas la laisser seule !

“Désolé Anzu, mais on va devoir reporter ton cours à plus tard !”

“Hein ?!!”

Laissant les deux kunoichi derrière, nous partons à la poursuite d’Ember avec Erika.










Je n’avais jamais pris conscience d’à quel point cette gamine courait vite. Et franchement, ce nouveau détail me fait regretter d’avoir emmené ma cousine avec moi. Finalement, peut-être qu’elle est un poids mort par moments…

Finalement, c’est au pied d’une petite colline, en bordure du village, que quelque chose, ou plutôt quelqu’un, stoppera notre adolescente en colère.

Natsu, le deuxième membre du duo de débiles. En vue des réactions de sa partenaire, tout à l’heure, je ne peux m'empêcher de rester sur mes gardes.

“LÂCHE-MOI !!!!”

Ember se débat, essayant de frapper l’homme ninja. Mais celui-ci ne semble pas affecté par les coups de la jeune fille.

En nous voyant approcher, il lâche finalement les épaules de la préadolescente, qui recule de trois pas, finissant sa marche arrière contre moi.

Ses yeux s’écarquillent de surprise en me voyant, avant de détourner le regard, de honte, ses yeux remplis de larmes.

J’ai pour habitude d’éviter tout contact physique avec elle, afin d’éviter un nouvel épisode comme celui de Carmin sur Mer. Mais j’ai peur qu’en la repoussant maintenant, la situation ne s’envenime davantage.

Mes yeux se posent sur Natsu. Je suis toujours un peu sur mes gardes, bien que je ne ressens aucune animosité venant de lui.

“Merci. Et désolé.”

“Aucun souci, j’étais justement sur le point de vous rendre une visite. Une personne importante souhaite s’entretenir avec Erika Kimono.”

Hah ?

Une personne importante ? Qui ? Et pourquoi ? Est-ce en rapport avec l’incident d’hier ?

S’il s’agissait de Koga, il l’aurait dit directement. Et puis, je doute que Koga souhaite s’entretenir avec l’un d’entre nous.

“Qui est cette personne importante ?” Demande Erika, apparemment bien plus directe que moi.

“Je ne peux pas en dire plus. Mais sachez qu’elle ne vous veut aucun mal. Au contraire.”

« Elle » ?

Mon regard se pose sur ma cousine, qui semble également me regarder, acquiesçant de la tête comme pour me faire signe de la laisser gérer cela.

“Très bien. Je vous suis. Quant à toi Azul… Ne sois pas trop dur avec elle, s’il te plaît.”

Sur ces mots, Erika et Natsu partent, me laissant seul avec Ember, qui n’ose même pas poser les yeux sur moi, ses épaules tremblantes témoignant de sa vulnérabilité.

Je soupire longuement. Un peu honteux de l’avoir négligé au point d’en arriver la.

“Tu viens…? Allons parler tranquillement, à l’abri des regards.”

Suivant mes pas, la jeune fille monte la petite colline en ma compagnie.


Au sommet, une légère brise matinale balaye mon visage. La hauteur fait que nous avons une bonne vue sur une grande partie du village. D’ici, on peut voir les habitants démarrer leur journée, travaillant dans les champs et parcourant les rues.

Surtout, il n’y a aucun endroit où se cacher aux alentours, ce qui fait que si une oreille indiscrète souhaite s’inviter à la conversation, je la repérerais instantanément.

Ember, quant à elle, cache son visage entre ses genoux. Sa longue chevelure d’ébène dissimulant le moindre angle mort qui pourrait me laisser l’entrevoir.

Enfin, après une longue minute de silence, assis sur l’herbe de la colline, j’ouvre enfin le dialogue.

“Désolé. Je suis allé trop loin.”

“......”

“Je sais que tu ne mens pas. Tu as vu Anzu entrer dans la forêt, hier.”

Ses jambes bougent enfin. Un mouvement très léger, mais montrant néanmoins qu’elle commence à se détendre.

“...Tu dis juste ça pour me faire plaisir. Personne ne veut me faire confiance… Je le sais…”

D’une voix plus assurée, je réponds à la jeune fille.

“Ce n’est pas une question de vouloir. Je te fais confiance, Ember. Ce sont deux choses très différentes.”

Sa tête se redresse légèrement, me dévoilant son regard de chien battu.

“Alors pourquoi tu m’as fait passer pour une menteuse…?”

“Car c’est à eux que je ne fais pas confiance. Le comportement de certaines personnes dans ce village est plus que suspect. Surtout Koga, leur chef.”

“C’est ce que je dis depuis le début !” S’exclame la jeune fille, ne prenant plus du tout la peine de se cacher.

“Je sais. Mais nous devons rester discrets vis-à-vis de ça. C’est pour ton bien que je te dispute lorsque tu te montres trop directe. Le clan Fuschia est composé de personnes dangereuses.”

Elle ne s’en souvient pas, mais Ember a déjà eu le droit à un avant-goût du danger que représentent les ninjas du clan. Après tout, si on l’a retrouvée endormie dans la forêt, hier soir, c’est qu’ils l’ont forcément interceptée, avant de lui faire perdre connaissance.

“Mais si on est en danger ici, et qu’ils ne nous aident même pas, pourquoi est-ce qu’on reste ?”

Ce qu’elle dit n’est pas totalement bête. Cependant…

“Même s’ils n’en ont pas l’air, le clan Fuschia nous aide, indirectement. Certes, le fait que nous n'ayons aucune nouvelle à propos de nos requêtes est plus que suspect, mais depuis que nous sommes ici, la Ligue et la Team Rocket n’ont pas osé nous attaquer.”

La jeune fille plante de nouveau sa tête dans ses genoux, un soupir s'échappant de ses lèvres.

“Pourquoi on peut pas juste combattre tous les méchants avec nos gros robots…?”

Je commence à entrouvrir la bouche, prêt à répondre, mais les mots de Koga traversent soudainement mon esprit.

“Tu as fui, donc. Et depuis, tu passes ta vie à fuir.”



“Restons vigilants pour le moment…”

Car je suis un lâche… probablement.

Une nouvelle minute de silence s’installe. Durant cette minute, je me repasse chaque instant vécu à Parmanie, depuis ces deux semaines. Beaucoup de choses me dérangent, et j’ai le sentiment qu’un détail important m’échappe.

…!

“Anzu.”

“Hein ?” Ember me regarde à nouveau, fronçant les sourcils en entendant le nom de son ennemie jurée.

“Toutes les choses étranges qu’on a notées jusqu’à présent, elles sont toutes liées à Anzu, d’une manière ou d’une autre.”

“T.. Tu crois qu’Anzu est la vraie méchante de cette histoire ?!”

“Non. Je suis sûr qu’elle n’a pas conscience de ce qu’il se passe autour d’elle.”

Je me demande quel rôle joue Anzu dans le village, exactement… La façon dont les gens la traitent. Le fait qu’elle soit la seule soi-disant capable de piloter l’Eevolv noir. Sa présence dans la forêt, hier soir. Même l’heure à laquelle elle dort est étrange.

J’ai un nombre incalculable de théories en tête, mais il me manque encore une pièce du puzzle si je veux comprendre qui est réellement Anzu.

“Ember. J’aimerais que tu m’aides. Il y a quelque chose que toi seule est capable d'accomplir.”

Ses yeux s’illuminent, comme si soudain, sa vie ennuyeuse s’était transformée en une aventure excitante.

“S.. Sérieux ?! Tu veux mon aide ?!!”

“Oui. Écoute-moi bien.”




















Alors que nous laissons Azul et Ember seuls, Natsu, un ninja du clan Fuschia, me guide au centre du village. Sur un îlot, au milieu d’un petit lac. C’est… !

“Le manoir de Koga ? C’est lui qui demande à me voir ?”

Mon escorte me tire soudainement le bras, m’entraînant derrière un buisson. Là, il me fait signe de me taire.

En regardant autour de nous, je vois qu’un groupe de garde sort du manoir. Ils ne nous ont pas vus apparemment.

Pourquoi sommes-nous en mission d’infiltration soudainement ?! Mon cœur bat vraiment fort, mais j’ai pris une résolution pas plus tard qu’hier ! Ne me faites pas faire des bêtises, Monsieur le ninja !


Passant rapidement d’un arbuste à l'autre, nous mettant à couvert derrière les arbres par moments, nous traversons le splendide jardin johtonnais du manoir de Koga.

Finalement, nous arrivons face à un bâtiment adjacent, beaucoup plus petit et moins impressionnant. Les gardes postés devant cet endroit nous voient, mais ne semblent pas hostiles à notre présence. Je décide donc de reposer une question à Natsu.

“Du coup… Pourquoi toute cette discrétion ?”

“Vous comprendrez le moment venu. Suivez-moi.”

Me voilà pas du tout rassurée.

Le ninja me guide jusqu’à une pièce couverte de tatamis, au centre de laquelle se trouve une table basse avec des coussins pour s’asseoir. Aussi, habillant la pièce comme les gratte-ciel qui habillent Céladopole, nous avons des piles de livres parsemées un peu partout.

“Asseyez-vous, je vais prévenir votre hôte de votre arrivée.”

Suivant les directives du mercenaire, je me fraie un chemin dans cette jungle de littérature, rejoignant la table basse. En passant, mes yeux se baladent un peu sur chaque couverture. Et en vue de la variété, il est difficile de cerner qui est réellement mon hôte. Passant des histoires d’amour aux thrillers. Des BD aux biographies de personnes plus ou moins connues. Des journaux de la semaine à ceux d’il y a six mois…

Peut-être est-ce la bibliothèque du village…? Dans tous les cas, c'est plutôt inquiétant.

En attendant, j’attrape un livre quelconque qui traîne, à portée de main. Une histoire d’animaux qui parlent, combattant aux côtés de jeunes humains partant en quête d’arènes. Je ne comprends pas tous les enjeux, mais la lecture n’est pas si mauvai— Attends quoi ?! Pourquoi a-t-il tué le Lombre ?!! C’est cruel ! L’auteur est un sadique qui veut voir ses lecteurs souffrir ou quoi ?!!!

“Tu sembles apprécier ce livre. Tu peux le garder si tu souhaites le lire plus tard.”

“Hah ?!!”

Une voix féminine me sort de ma lecture. En regardant en direction de la personne m’aillant sauvée de ce cauchemar, je vois une femme gracieuse aux cheveux violets, portant un splendide kimono noir et doré.

Je ne la connais pas, et pourtant, je ressens quelque chose de fortement familier chez elle…

Soudain, la femme en question se rapproche rapidement de moi, faisant tomber plusieurs tours de livres, tel un Kaiju détruisant une ville toute entière dans un film du genre. Elle finit sa course en tombant à genoux, face à moi, me serrant contre elle de toutes ses forces.


[Vert Feuille] Mechamon Iris - Page 4 Chapit15


“Cela faisait si longtemps que je n’avais pas vu une de mes soeurs !”

“ H.. Hah ?!!”

Une de ses sœurs… Un instant, c’est un membre de mon clan ?! Ça veut donc dire que cette femme est…!

“Vous êtes l’épouse de Koga ?”

Gênée par le fait qu’elle m’ait bondi dessus avant même de s’être présentée, la femme en kimono me lâche enfin, rejoignant un coussin de l’autre côté de la table basse.

“Excuse-moi, c’était inapproprié de ma part…” dit-elle en se raclant la gorge.

J’aimerais confirmer ses dires, mais entre ça et le fait qu’elle me tutoie aussi facilement, j’ai peur que la liste de ses actes « inappropriés » soit un peu trop longue…

“Aucun problème… Je me présente : Erika Kimono.”

“Oh, mais je sais bien qui tu es ! Hoho !”

Sérieusement. A-t-elle oublié toute son éducation en se mariant ?

“Mon nom est Madoka Fuschia. Je suis effectivement l’épouse de Koga, le chef de ce clan. Et je suis également censée servir de pont entre ce clan et Johto…”

“Censée ?”

Le choix des mots ne semble pas anodin. Madoka se tourne vers la porte coulissante par laquelle elle est entrée plus tôt, demandant à Natsu de nous amener du thé. Je ne savais même pas qu’il nous écoutait derrière la porte…

“Alors, dis-moi, comment vont les autres à Enju City ? J’imagine que plein de choses ont changé depuis toutes ces années !”

Je vois. Elle a le mal du pays. J’ignore les raisons exactes de cette convocation, mais Madoka semble vraiment heureuse de voir une de ses « sœurs » ici. Je vais lui donner ce qu’elle veut en lui parlant un peu du clan. Mais je devrais quand même éviter le sujet d’Enju City. Je ne voudrais pas ruiner l’ambiance en laissant glisser une référence à la guerre d’il y a deux ans.


Après de longues minutes de plaisanterie, nous reprenons enfin notre souffle, finissant nos tasses de thé, maintenant tièdes.

“Merci, Erika. Cela me fait un bien fou de parler ainsi avec quelqu’un. Surtout une personne du clan.”

“Oh… Euh… Le plaisir est partagé ! Haha…”

En réalité, non. Plaisanter ainsi sur les aînées du clan, qui sont encore aujourd’hui la cause d’une grande partie de mes cauchemars, n’a rien d’un plaisir. C’est juste terrifiant !

Mais alors que Madoka pose sa tasse sur la table, je ressens l’air se densifier. Son regard n’est plus le même…

“Comme je te l’ai dit tout à l’heure, cela fait très longtemps que je n’ai pas vu une fille du clan. Et par très longtemps, je veux dire que cela fait plus de dix ans maintenant.”

Dix ans ?! Mais elle sert de pont entre les deux clans… Ça ne fait aucun sens.

Madoka poursuit alors.

“Le clan Fuschia et le clan Kimono sont étroitement liés. Et ce, depuis des centaines d’années. Mais depuis que Koga est au pouvoir, ce lien semble disparaître peu à peu…”

“Excusez-moi, mais… Je ne suis pas sûre de comprendre.”

“Pour la faire simple : Koga éprouve de la haine envers notre clan. Et il se sert de sa position afin de m’empêcher d’agir librement.”

Des sueurs froides parcourent mon corps alors que je prends conscience de la situation. Cette pièce est remplie de livres. La réaction de Madoka en me voyant. Le fait qu’on ait dû venir discrètement.

“Mais c’est inacceptable ! Nous devons informer le clan—”

“Non !” Mon hôte s’exclame d’une vive voix, avant de poursuivre. “Le clan Kimono est probablement au courant de la situation. S’ils n’ont toujours rien fait, c’est qu’ils n’estiment pas leur intervention comme quelque chose de nécessaire.”

Quoi…? Mais… On ne peut pas la laisser dans cette situation…

“Ne sois pas triste, Erika. Si je te dis tout cela, c’est pour une raison. Le clan Kimono n’a peut-être pas l’intention d’agir, mais ce n’est certainement pas mon cas.”

“Hah…?”

“J’ai longtemps eu peur de Koga. Des conséquences qu’aurait une rébellion de ma part. Mais après avoir appris ce qu’il t'est arrivé hier soir, j’ai pris conscience qu’il était temps d’agir. Je ne peux pas le laisser faire du mal à une de mes soeurs !”

“Euh… Techniquement, l’incident d’hier est totalement de ma faute…”

“Non. Si ce clan fonctionnait correctement, tu serais déjà à Johto à l’heure actuelle. Et nous aurions déjà des nouvelles de tes amies.”

…?!

“Hein ? V.. Vous voulez dire que…!”

“Depuis les deux semaines que vous êtes ici, aucune action n’a été faite pour vos requêtes. Koga n’a jamais eu l’intention de vous aider. Ni toi, ni ton ami de la famille Leeves.”

Rien n’a été fait… Alors Azul les aide depuis tout ce temps pour rien ? Nous ne faisons que perdre notre temps, pendant que Chris et Claire sont toujours en danger…

“Pourquoi fait-il ça ?! Nous ne lui avons rien fait de mal, si ?!!”

Madoka baisse les yeux en voyant ma colère. Elle finit par répondre d’une voix faible.

“Il n’accepte juste pas les choses telles qu’elles sont… C’est pourquoi nous devons lui faire ouvrir les yeux.”

C’est quoi cette réponse évasive ?! Qu’est-ce que je suis censée en tirer ?!!!

“Je comprends ta colère. Elle est parfaitement justifiée. Et sache que beaucoup de personnes dans ce village ressentent la même chose que toi. Les sentiments de Koga envers le clan Kimono ne sont partagés par personne. Seuls ceux qui lui sont fidèles le suivront jusqu’au bout. C’est pourquoi j’aimerais que toi et ton groupe nous aidiez à le combattre.”

“Le combattre…”

Ma colère se transforme peu à peu en peur, alors que j’imagine les conséquences d’une telle bataille. Si nous échouons, Azul et Ember n’auront nulle part où aller. Et encore, ça, c’est s’ils survivent… Sans parler du fait qu’en tant que membre du clan Kimono, mes actes seraient considérés comme de la trahison, non ?

Puis-je réellement prendre une telle décision moi-même ? Non, non, non ! Certainement pas ! Mais si on ne fait rien…

Alors que je me torture l’esprit, les informations données par Madoka étant une gifle un peu trop violente pour moi, je ressens ses mains glisser dans ma chevelure, entrainant peu à peu ma tête contre sa poitrine.

J.. Je ne l’ai même pas vu s’approcher de moi…!

“Ma chérie… C’est normal que tu aies peur. J’ai longtemps ressenti la même chose. Mais je pense qu’il est temps pour nous deux de nous montrer plus fortes. Pour ceux que nous aimons.”

Ceux que j’aime… Je baisse la tête, toujours serrée contre Madoka.

“Mais le clan…”

Le regard de mon hôte s'adoucit davantage, tandis qu’elle me caresse les cheveux avec l’une de ses mains.

“Ne t’en fais pas. Tout est une question de perspective, Erika. Le monde est composé de règles. Que ce soit dans la nature, comme dans la société, nous sommes toujours soumises aux limites qui nous sont imposées. Mais cela ne nous empêche pas de poursuivre une forme de liberté. Ce, alors que nous savons tous pertinemment que peu importe nos efforts et nos accomplissements, nous serons toujours soumises a des limites.”

Je l’écoute attentivement, repensant aux personnes qui m’entourent. Sont-elles vraiment libres, malgré leurs limites ? Azul et Ember renvoient un sacré sentiment de liberté, et ce, alors qu’ils sont toujours dos au mur. Je me demande pourquoi…

“Pour être libre, il faut connaître ses limites, et s’approprier les règles auxquelles nous sommes imposées. C’est ce que l'on appelle être maître de son destin.”

Être maître de son destin… Madoka semble bien s’y connaître sur le sujet, malgré le fait qu’elle ne maîtrise aucun aspect de sa vie.

“Cela fait bien trop longtemps que j’ai perdu le contrôle de ma personne, et du monde qui m’entoure. C’est pourquoi j’ai établi un plan qui me permettra de reprendre l’avantage, tout en respectant mes propres limites. Je vais confronter Koga. Lui faire prendre conscience de ses actes, et retrouver ma fille avant qu’il ne soit trop tard.”

“Votre fille ?”

Madoka ignore ma question. Elle attrape mon visage entre ses mains, décrochant celui-ci de son corps avant de me regarder droit dans les yeux.

“Il en va de même pour toi. Ne laisse personne décider à ta place. Si tu ne veux pas finir comme moi… Alors tu dois prendre ton destin en main dès maintenant !”

J’acquiesce légèrement, un peu déboussolée par toute la conversation. Mais alors que la femme en kimono me lâche enfin les joues, Natsu, le ninja qui m’a escorté jusqu’ici, entrouvre la porte coulissante. Nous informant qu’il faut que je parte maintenant si on ne veut pas avoir l’air suspects.

En me levant, toujours légèrement sonnée. Je sens la main de Madoka attraper la mienne. Elle souhaite me dire une dernière chose.

“Je te convoquerai à nouveau dans une semaine afin d’entendre ta réponse à ma requête. D’ici là, je t’en supplie, trouve un moyen d’informer ton ami Leeves sans que personne ne s’en rende compte.”





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