Chapitre 81 - Dans l'œil du cyclone

 

IX - Final

Chapitre 81 - Dans l'œil du cyclone

Quinze heures.

Safrania se remet encore de sa matinée mouvementée. Des premières gouttes de pluie tombant doucement sur la ville, s'ajoutant au chaos général, et au chagrin de certaines personnes spécifiques.

Pour ma part, j'ai déjà contacté Bob et les autres, à Jadielle, afin de les informés des plans d'Agatha. Bien qu'elle aie été vaincue, on ne peut jamais être trop prudent.

J'ai laissé les ingénieurs de la Sylphe faire une analyse approfondie du Eevolv-S, afin de comprendre pourquoi certaines de ses fonctions déconnent. Notamment la Conversion.

Ils devraient bientôt finir. C'est pourquoi je suis maintenant face à la porte menant au toit du bâtiment C.

Afin de prévenir Ember que nous partons bientôt pour Azuria.


La porte s'ouvre dans un grincement plus retentissant que prévu. Ma partenaire se tient debout, au milieu du toit, fixant le ciel d'un air dévasté. S'inquiétant peu des gouttes qui tombent.

"Ember," je l'interpelle, m'approchant doucement d'elle. "On ne devrait pas tarder à y aller."

Son regard vide se tourne alors vers moi. Malgré le fait que son visage soit trempé, je discerne facilement les larmes de ce qui appartient à la pluie.

"Je sais qu'il n'était pas quelqu'un de bien... Il a tué plein de personnes innocentes... dont toi..." Dit-elle d'une voix cassée, son expression se déformant peu à peu en quelque chose mêlant la frustration et la tristesse. "Mais il essayait de changer...! Il était prêt à tout pour se racheter...!!"

"......"

Dire que la mort de Green ne me fait rien serait un mensonge. Mais, même dans sa tombe, je ne trouve pas la force de le pardonner.

Ce que je ressens n'est certainement pas de la tristesse. Non... La personne que j'ai autrefois considérée comme mon meilleur ami, ainsi que mon partenaire, a nourri une telle haine en moi, pendant toutes ces années, que la seule chose que j'éprouve actuellement, est une profonde déception.

Je suis déçu de ne pas avoir eu ce dernier combat qu'il m'a promis à Jadielle. Déçu de ne pas avoir pu lui dire ce que j'avais sur le coeur. Et surtout...

...déçu de ne pas être celui qui lui a porté le coup de grace.

"Tu m'en veux, hein...?" Demande Ember, riant faiblement de sa propre personne. "J'aurais dû en discuter avec toi. Au lieu de ça, je me suis alliée à ton pire ennemi. Secrètement."

Mon regard tombe à mes pieds. J'aurais préféré ne pas en discuter. Car, moi-même, je ne sais comment réagir.

Depuis qu'il nous a aidés lors du Rocket Grand Prix, je me doutais que quelque chose clochait. Mais je manquais de preuves. Et nous étions tous à cran à ce moment-là.

C'est lorsque j'ai vu son message anonyme, sur son téléphone, ce matin, que j'ai commencé à comprendre.

Peut-être même qu'une part de moi refusait de croire en la véracité de ce message, justement car il confirmerait mes doutes sur leur association.

Enfin, lâchant un soupir tremblant, je tourne mon regard en direction de la ville. Le chaos des gyrophares, des klaxons, et la pluie s'abattant sur le monde me faisant comprendre que, au fond, je ne souhaite qu'une chose.

Finir ce qu'on a commencé.

"C'est sans importance désormais," je réponds enfin à ma partenaire. "Rentrons à l'intérieur."










En arrivant au hangar souterrain où l'Eevolv-S a été transporté pour son inspection, je remarque rapidement que l'endroit est terriblement vide.

Rien de bien surprenant. Les employés de la Sylphe sont actuellement éparpillés à travers Safrania, apportant de l'ordre, ou se préparant à partir vers d'autres villes kantonniennes afin de récupérer les Soldats sans pilotes qu'Agatha a laissée derrière elle.

Cependant, il y avait bien une petite poignée de personnes lorsque j'ai laissé mon mecha, plus tôt dans la journée.

Actuellement, je ne vois que deux hommes. Le professeur Chen, ainsi que son ancien stagiaire.

"Vous devriez vous reposer," je lui dis en m'approchant, accompagné d'Ember. Le pauvre semble encore plus abattu que ma partenaire.

"Ça ira," répond-il d'une voix étrangement calme. Son regard fixé sur l'écran de son ordinateur, encore branché au cockpit de ma machine.

"J.. Je vais vous laisser," dit le stagiaire, tapotant doucement le bras du vieux sexagénaire. Un geste étrange lorsqu'on connaît leur relation.

Nous attendons que ce dernier soit sorti du hangar, avant de reprendre notre conversation.

"La Sylphe était prête à s'occuper de l'inspection," je soupire, insistant sur le fait qu'il ne devrait pas être ici.

"Me casse pas les couilles, Azul. Je voulais voir ce que vous avez fait à mon prototype," une phrase typique du professeur, mais manquant du ton agressif censé lui servir d'accompagnement. "... Et j'avais besoin de me changer les idées, de toutes façons."

"Je vois..."

S'écartant légèrement afin de nous laisser nous approcher de l'écran, il en profite afin de changer de sujet.

"J'ai lu les rapports concernant ta nouvelle machine et les problèmes que tu as rapporté. Tu utilisais le champ électrique généré par cet Eevolv afin d'assimiler l'énergie des attaques adverses. Mais ça n'a pas fonctionné lors de ton dernier combat," résume-t-il en relisant le compte-rendu que j'ai écrit plus tôt.

"C'est exact. Habituellement, Morgane s'occupe des commandes les plus complexes pendant que je pilote la machine. C'est elle qui a tenté d'activer la Conversion," j'explique. "La connaissant, elle ne serait pas trompée en entrant la requête. C'est littéralement sa spécialité."

"Je confirme. J'ai lu les logs. La commande entrée est la bonne. Le système était prêt à l'exécuter, mais quelque chose a bloqué au moment de procéder à l'absorption de l'énergie," répond le professeur, affichant un diagramme sur l'écran. "Ce Soldat ne peut pas absorber plus d'énergie, car il est déjà chargé à bloc. La dernière fois que tu as utilisé la Conversion, non seulement tu lui as fait assimiler une quantité absolument folle d'électricité, mais tu ne l'as jamais expulsée par la suite."

De l'électricité...? Un instant. Quand bien même je n'aurais pas utilisé l'énergie absorbée, normalement, l'Eevolv-S est calibré de sorte à l'expulser progressivement au fil du temps.

Quand est-ce que j'ai utilisé la Conversion pour la dernière fois...?

"Le vaisseau de la Team Rocket... à Jadielle," dit Ember en parlant pour la première fois depuis que nous sommes revenus du toit. Sa voix semble toujours aussi faible.

Mon regard s'écarquille. Avec tout ce qui nous est arrivés entre temps, j'avais totalement oublié.

L'Eevolv-S avait stoppé une des foudres divines du dieu mécanique de Giovanni en utilisant la Conversion. La puissance était telle que ma machine avait totalement cessé de fonctionner. Ce qui explique pourquoi elle n'a pas eu l'occasion d'expulser l'électricité accumulée...

"Quoi qu'il en soit, cela prendrait des semaines, voir des mois à expulser cette énergie sans que cela ne cause une catastrophe. Tu as déjà pu en constater la puissance lorsque tu as coupé l'électricité dans toute la ville, tout à l'heure," ajoute le professeur.

"Hein ?" Mes yeux se tournent vers lui avec davantage de surprise.

"...Attends. Tu n'étais pas au courant ?"

"J'ai simplement appliqué de l'électricité sur les rails afin de stopper le train dans lequel vous étiez."

Le prof me fixe, bouche bée, avant de se masser les paupières en soupirant.

"La ville entière est sans dessus-dessous parce que tu as causé un Black-out général dans tout Safrania."

...

Ça ne fait aucun sens.

Je n'ai pas utilisé la Conversion. Pourquoi est-ce que ce n'est pas l'énergie de la pierre foudre qui a été prise en compte ?

"Justement. Le simple fait d'utiliser le Jolt Mod est dangereux," dit-il, comme s'il lisait dans mes pensées. "Cette énergie n'est pas juste puissante. Elle est invasive. C'est comme si elle cherchait à ne faire qu'un avec la pierre foudre."

Il en parle comme s'il s'agissait d'une entité dotée d'une conscience... Mais, maintenant que j'y pense, Giovanni affirmait avoir mêlé les cendres d'Électhor, un des trois dieux de Kanto, à un cristal de Rappel.

Est-ce que cela veut dire que j'ai, sans le savoir, absorbé une partie de ce dieu dans ma machine ?

"Je te déconseille d'utiliser le Jolt Mod tant que ce problème ne sera pas traité. Et ce conseil vaux double pour la Conversion," me dit le professeur, sur un ton plus grave que d'habitude.










Maintenant que tout est en ordre, il ne nous reste plus qu'une personne à voir. Une personne qui est, depuis plusieurs heures maintenant, en train de manipuler les IAs créés par Agatha, afin d'éviter une perte de contrôle.

Assistée par un petit groupe d'employés de la Sylphe, dans une salle qui a été réaménagée pour cette mission, précisément, Morgane a les yeux rivés sur l'écran du terminal. Tapant des commandes sur le clavier tout en buvant un café. Surement pas le premier depuis qu'elle est arrivée.

"Tu as l'air de t'en sortir," je l'interpelle, m'approchant d'elle avec Ember.

"Azul ? Ouais, ça va," répond-elle sans quitter l'écran du regard. Et, surtout, sans bégayer. "C'est marrant. Je n'ai jamais vu une intelligence artificielle aussi avancée. On pourrait presque avoir une conversation avec... si seulement elle n'était pas designée pour tuer."

D'un côté, cela me rassure. Elle a déjà du mal à communiquer avec des humains. Je n'ose pas imaginer les conséquences qu'aurait un contact entre elle et une IA.

"Nous allons partir," j'annonce en posant ma main sur son épaule. Pour être sûr que le message soit bien reçu.

"Ah ? Tout de suite ?!" La jeune femme commence enfin à paniquer, levant ses yeux rosâtres vers nous. "J.. J'ai la situation sous contrôle, mais le moindre faux pas pourrait les faire dérailler ! O.. On ne peut pas attendre juste deux heures de plus ? Le temps que je forme au moin un technicien à l'utilisation du programme ?"

J'échange un regard avec Ember, qui se contente de détourner le sien.

...

Bien. Je m'occuperais de tout jusqu'à ce qu'elle se sente mieux.

"Ne t'en fais pas pour ça. L'Eevolv-S ne peut plus utiliser la Conversion," je lui explique. Bien que ce soit un mensonge, techniquement, le professeur m'a déconseillé de l'utiliser dans tous les cas. "Tu seras plus utile ici, en aidant la Sylphe le temps qu'ils désarment les Charming Leon éparpillés à travers Kanto."

"...Hein ?" Morgane me fixe, le visage pâle.

"De plus, tu seras plus en sécurité ici," j'ajoute en appuyant sur son besoin constant de se sentir protégée.

"M.. Mais je—"

Elle se fait alors interrompre par un des ingénieurs sur place, lui indiquant qu'une nouvelle requête a été formulée par l'IA.

Un air frustré se dessine sur son visage. Des larmes se formant peu à peu dans le coin de ses yeux.

"Je m'en fiche d'être en sécurité... Ce que je veux... C'est rester avec vous," murmure-t-elle d'une voix cassée.

Ember s'avance alors, silencieusement, attrapant Morgane dans ses bras pour la serrer contre elle. Son regard est toujours aussi vide et sa voix toujours aussi faible.

"S'il te plaît, Morgane... J'ai besoin de te savoir à l'abri lorsque j'irai lui faire face."

La Sorcière enfouit peu à peu son visage, couvert de larmes, dans le creux de l'épaule de sa meilleure amie. Enfin, elle acquiesce, en lui chuchotant de lui promettre de revenir la chercher quand tout sera terminé.

Ember accepte d'un geste fragile de la tête.

Contre toute attente, Morgane semble s'être beaucoup plus attachée à nous que ce que j'imaginais au départ.

Elle n'est pas juste un parasite s'étant accroché à notre groupe par pur instinct de survie. Elle est une amie chère. Pour Ember. Et pour moi aussi.










Accompagnés d'un convoi de la Sylphe, nous rejoignons Azuria sans problèmes. Ces derniers devaient s'y rendre de toute manière afin de désarmer les Soldats sans pilotes présents dans la région.

Vu l'heure, et l'état psychologique de ma partenaire, j'en conclus qu'il serait plus sage d'attendre le lendemain pour infiltrer la base de la Ligue. C'est un choix risqué, puisque c'est également demain qu'aura lieu la bataille au Plateau Indigo.

Mais, d'un autre côté, dans le pire des cas où nous perdons contre le Grand Maître, au moins, son attention sera portée sur nous le temps de la bataille.

Ainsi, je réserve une chambre pour nous deux, dans le même hôtel que les employés de la Sylphe qui nous aident actuellement dans cette dernière étape de notre mission.

Le repas se fait dans le silence. Je sens qu'Ember est à cran. Qu'elle n'aime pas avoir à retarder sa rencontre inévitable avec Mew et Scarlett. Elle doit probablement être rongée par le stress, en plus de toutes les émotions négatives qui l'envahissent depuis ce matin.

Personnellement, je ne vais pas le cacher, je suis également angoissé. Comme à chaque veille de batailles importantes. Mais là... C'est différent.

J'ai le sentiment que ce qui nous attend dans cette base, demain, pourrait changer nos vies à jamais. Voir y mettre un terme.

Ma priorité sera la survie d'Ember, évidemment. Puis la mienne. Et, enfin...


Après un repas lors duquel elle n'a pas mangé grand-chose, j'accompagne ma partenaire dans notre chambre. Il n'est que vingt heures, mais nous avons tous les deux besoins de repos.

Ember s'assoit au bord de son lit. Elle n'a pas dit un mot depuis que nous sommes partis de Safrania. Son regard indiquant que son esprit est ailleurs.

Doucement, je décide de la rejoindre. Ce n'est pas dans mes habitudes d'être tactile, mais, ces derniers temps, je me surprends à de plus en plus avoir recours au contact physique afin de partager mes émotions au personnes que j'aime.

Assis à ses côtés, je passe mon bras derrière elle, la tirant délicatement contre moi. Le geste la fait sursauter. Comme si elle ne s'attendait pas à ce que je la blotisse de la sorte.

De retour à la réalité, ses émotions reprennent peu à peu le dessus sur elle. Ses yeux se remplissant de larmes, avant qu'elle n'enfouisse son visage contre mon torse, dans un mouvement désespéré. Comme si j'étais son ultime barrière contre la vérité.

Je ne dis rien. Ce n'est' pas de mes mots dont elle a besoin, immédiatement. Alors je me contente de caresser ses cheveux, délicatement, en l'écoutant pleurer.

Un geste me rappelant ce que ma mère avait l'habitude de faire, lorsque j'étais petit. Je me demande si elle serait fière de moi, si elle me voyait aujourd'hui...

"Je ne sais plus quoi faire... Azul..." chuchotte Ember, le visage toujours caché contre moi.

"La mission n'a pas changé, Ember," je lui réponds, d'une voix apaisante. Mes doigts se baladant dans ses longs cheveux blancs.

Ses doigts se serrent dans mon pull, une nouvelle vague de larmes l'envahissant.

"Je voulais les sauver... Je voulais les apaiser... Que tout rentre dans l'ordre..." Sa voix se déforme de plus en plus au fur et à mesure que sa gorge se noue. "Pourquoi est-ce qu'elle a tué Green...? Il l'aimait... plus que tout au monde..."

Malheureusement, même si je le souhaitais, je ne pourrais pas répondre à cette question. Je ne connais pas aussi bien Scarlett qu'elle. Et c'est peut-être pour cela qu'Ember en souffre autant. Car elle n'arrive plus à reconnaître une personne avec qui elle partage pourtant les mêmes souvenirs.

"J'ai peur qu'il soit impossible de leur parler... Qu'on n'ait d'autres choix que de s'entre-tuer..." Ses doigts se desserrent petit à petit de mon haut, dans un geste symbolisant son abandon.

J'attrape alors soudainement ses mains dans les miennes. Ma chaleur corporelle enveloppant le froid de sa peau, lui rappelant qu'elle n'est pas seule dans cette histoire.

Sa tête bouge alors afin qu'elle puisse lever les yeux pour me regarder. Ses pupilles tremblent de vulnérabilité. Tandis que mon propre regard traduit une certitude que je n'ai pas eue depuis longtemps.

"Agatha et Green ont fait beaucoup de mal autour d'eux. Ils ont tués des innocents. Dire qu'ils ne méritaient pas leur sort serait un mensonge," j'affirme, sans la lâcher de regard. "Toi aussi, tu as tué, lors de la guerre. Et moi aussi, j'ai tué, lorsque j'étais avec la Team Rocket."

Elle tente de détourner le regard, se sentant probablement encore plus mal qu'avant, mais je ne m'arrête pas là. Mes mains se serrent davantage autour des siennes, attirant de nouveau ses yeux sur moi.

"Si, un jour, quelqu'un venait à me tuer... alors je l'aurais également mérité. Et le Grand Maître méritera son sort, quoi qu'il arrive. Que cela se termine bien ou mal."

Ses yeux s'écarquillent, ses lèvres bougeant afin de former quelques mots en réponse.

"Azul... tu..."

"Nous ferons notre possible pour les sortir de ce cercle de haine. Ensemble," je la corrige avant qu'elle n'ait le temps de finir sa pensée. "Et s'il n'y a aucun moyen d'y parvenir, alors nous y mettront un terme par la force. Ensemble également."

Des couleurs semblent revenir peu à peu sur son visage. Mon discours lui aillant redonné un peu d'espoir. Bien que le plus dur sera de le conserver demain, lorsqu'elle fera face à la personne responsable de tous ses maux.

Précautionneusement, les doigts d'Ember glissent entre les miens. Pour une raison que j'ignore, l'ambiance générale est en train de changer. Comme si mon soutien, dans ce moment de détresse, avait déclenché quelque chose chez elle.

Ses joues deviennent de plus en plus rouges, son regard ne sachant où se poser, alors que son visage se rapproche progressivement du mien.

Je ne suis pas la personne la plus romantique sur Terre, mais je devine rapidement ce qu'elle attend de moi.

Sans trop me poser de questions, je couvre la distance entre ses lèvres et les miennes. Elles sont froides et sèches. Un contraste perturbant, puisque je m'attendais à la même sensation de chaleur et de douceur que lorsqu'on s'est embrassés, à Bourg Palette.

Néanmoins, mon coeur bat tout aussi fort. Voir plus. Mon souffle se raréfiant au fur et à mesure qu'elle prend le contrôle du baiser, laissant mes mains de côté afin de couvrir mes joues.

Il y a quelque chose de différent, dans son regard. Quelque chose de plus sombre que d'habitude. De tellement intense que je risquerais de m'y perdre.

Enfin, lorsque ses doigts glissent de mes joues jusqu'à mon cou, je comprends. Ember cherche quelque chose de plus intime qu'un baiser. Quelque chose que nous ne pouvons faire qu'ici, dans une chambre, à l'abri des regards.

Mais alors que la bouche de la jeune femme se sépare de la mienne pour tenter de rejoindre mon cou également, un son excessivement puissant nous sort de notre état de rêverie.

Quelqu'un frappe à la porte de notre chambre.

J'expulse enfin tout l'air qui s'était accumulé dans mes poumons dans un très long soupir, avant de me lever. Laissant une Ember au visage fumant de gène derrière moi, je vais voir qui est notre visiteur nocturne.

Entrouvrant la porte par sécurité, j'observe, puis constate la présence d'un rouquain couvert de bandages, fuyant mon regard comme la peste.

"Léo ?" J'ouvre enfin la porte, confirmant qu'il ne s'agit pas d'un assassin.

"Salut..." Dit-il en bougonnant. Je comprends qu'il m'en veut pour ce matin. N'importe qui m'en voudrait. Mais je n'ai vraiment pas envie d'avoir cette conversation ce soir...

Alors que je cherche comment lui demander, gentiment, de partir, une nouvelle tête fait son apparition, derrière lui. Une rouquine cette fois.


[Vert Feuille] Mechamon Iris - Page 8 Chapit84


"C'est lui le « pote » qui a envoyé ton camion dans le décor ? Il est plus mignon que ce que j'imaginais..." Dit-elle en me fixant de la tête aux pieds.

"Il est surtout trop vieux pour toi !" S'exclame Léo en se tournant vers celle que je devine être sa soeur, Ondine.

"Ça va ! J'ai juste dit qu'il était mignon ! Et puis il a déjà quelqu'un, visiblement."

"Comment tu sais ça ?!" Demande son frère, toujours un peu à cran.

"Il y a une fille qui rougit sur son lit."

Léo regarde alors par-dessus mon épaule, voyant qu'Ember est assise sur son lit (et non pas le mien.) rouge comme une tomate.

"Tu deviens de plus en plus incontrôlable..." Dit-il en me regardant à nouveau, d'un air dégoûté cette fois-ci.

"J'hésite entre fermer la porte sur ta tête ou sur celle de ta soeur..." Je ronchonne en leur lançant un regard glacial.

"Je suis l'étoile montante de Kanto ! Si tu veux défigurer quelqu'un, attaque-toi à mon frère s'il te plaît," répond Ondine en se cachant derrière Léo, le poussant en avant avec un sourire presque sadique.

"O.. ONDINE ?!!!" La panique envahit le jeune homme, qui ne sait où donner de la tête.


Voyant qu'ils ne semblent pas décidés à partir, je finis par les laisser entrer. Si Léo souhaite me prendre la tête, autant le faire en privé.

Le problème étant qu'il ne semble toujours pas décidé à parler. Et je n'ai franchement pas envie d'ouvrir le dialogue alors que c'est lui qui a décidé de venir me voir aussi tôt après notre dispute.

L'ambiance est lourde. Et le fait qu'Ember soit sur la lune n'aide pas. Je suis sûr qu'elle n'a même pas remarqué qui était entré dans notre chambre.

Finalement, c'est Ondine qui l'approchera.

"T'es une amie à eux ? J'aime beaucoup ta couleur de cheveux. C'est... original."

Le regard d'Ember se focalise enfin sur la jeune fille rousse, avant de s'écarquiller. Prenant un air choqué.

"ONDINE ?!!!"

Si j'entends encore quelqu'un crier son nom, je sens que je vais vriller...

"OH ! T'es une fan ?!" Demande la jeune fille, presque trop contente.

Elle ne mentait pas lorsqu'elle disait qu'elle était l'étoile montante de Kanto. Du haut de ses seize ans, Ondine est une danseuse ainsi qu'une nageuse hors pair. Elle était la tête d'affiche du Stade Aquatique d'Azuria, jusqu'à ce que l'incident de ce printemps l'ait forcée à être hospitalisée quelques mois.

J'ai lu dans les journaux que, depuis sa blessure, elle s'est tournée vers des spectacles plus calmes, et qu'elle se concentrerait plus sur le chant désormais. Elle est la définition même de l'expression « retomber sur ses pattes ».

"O.. Oui !" Réponds enfin Ember, un sourire rayonnant aux lèvres.

"Je vois, je vois ! Et c'est quoi ton nom ?" Ondine continue ses questions. J'imagine que son ego est particulièrement grand pour qu'elle soit aussi heureuse de rencontrer une fan parmi des millions.

"Em—" Ma partenaire se souvient alors de quelque chose. Elle entrouvre les lèvres, se préparant à lui répondre avec un faux nom afin de la tenir à l'écart. Mais je décide de l'interrompre.

"Ember. Elle s'appelle Ember."

La jeune femme aux cheveux cendrés me lance un regard choqué, pensant sûrement que je venais de faire une énorme bourde. Cependant, j'ai délibérément décidé de l'empêcher de mentir.

Elle est encore dans un état instable suite aux événements de ce matin. Et peut-être qu'Ondine pourrait aider à stabiliser, ne serait-ce qu'un peu, ses émotions.

"Ember... Je connais une petite fille portant ce nom," un sourire nostalgique se dessine sur les lèvres de la danseuse, qui pose ses mains sur sa poitrine en réaction. "Elle m'a beaucoup aidé lorsque j'en avais le plus besoin. J'espère la revoir bientôt pour lui offrir ce cours de danse que je lui avais promis."

Ma partenaire ne répond pas. Elle se contente de sourire également. Un sourire paisible et satisfait.

"Bon ! Et si on allait discuter en bas, autour d'un café ? Ça laissera le temps aux deux idiots d'enfin faire la paix... Ou d'écrire un constat. Quelque chose dans le genre," dit Ondine en tirant Ember par le bras.

"Tu viens de me traiter d'idiot ou je rêve...?" Je lui lance un regard froid, me rendant compte que la personalité de Léo est un problème génétique depuis le début.

"Si tu dois frapper quelqu'un, frappe mon frère ! Il est en partie responsable de mon éducation !" Ajoute-t-elle en quittant la chambre avec ma partenaire, nous laissant seuls, moi et le rouquin.

Un silence de mort s'installe rapidement. Et puisque cet abruti est venu me voir pour parler, mais qu'il ne semble pas décidé à ouvrir le dialogue, je décide de m'en occuper.

"Tu as fait la paix avec ta soeur, de ce que j'ai pu voir."

"Je ne sais pas vraiment si on peut appeler ça « la paix », mais elle n'est plus fermée au dialogue, au moins..."

"Comment ça ?"

Léo soupire, puis se tourne en direction de la fenêtre.

"Allons faire un tour... J'ai besoin de prendre l'air."


Empruntant un parapluie à l'accueil de l'hôtel, je suis Léo à travers les rues d'Azuria. Nos pas clapotant sur les flaques luminescentes, illuminées par les lampadaires.

Le jeune homme s'arrête enfin lorsque nous arrivons aux abords de la rivière traversant la ville. Le bruit est infernal. La sensation d'isolement étant plus forte que dans une chambre close.

Il me raconte alors sa journée, sans me regarder. Ses yeux rivés sur l'apparence chaotique de l'eau en face de nous.

Apparemment, après notre accident, il aurait été forcé d'abandonner le camion avec les pièces détachées et les canons de rechange pour l'Eevolv-S à l'intérieur.

Heureusement, je savais déjà que nous aurions ce problème. La Sylphe s'est donc arrangée pour nous fournir ce dont nous aurions besoin. Bien que, de toutes façons, le professeur m'a déconseillé d'utiliser le Jolt Mod. Il est donc d'autant plus déconseillé d'utiliser le Full Drive.

Bref. Blessé, Léo a réussi à rejoindre Azuria avec la moto qu'il a utilisé pour faire le trajet Jadielle - Carmin sur Mer. Sauf que cet idiot a préféré voir sa soeur en priorité, plutôt que de se rendre à un hôpital.

C'est elle qui a dû mettre sa haine de côté pour traîner son frère de force à l'hosto. Et c'est pendant qu'il se faisait soigner qu'ils ont eu une longue discussion. À propos de leur famille. De leur choix de vie. Et de ce qui compte à leurs yeux.

Ondine reprochait à Léo de les avoir abandonnés, elle et son père, durant la guerre, en volant au secours de Johto. De plus, leur père est mort sur le champ de bataille. Victime des armes que Léo lui-même fournissait au pays ennemi.

À cause de cela, non seulement le jeune homme était considéré comme un traître envers Kanto, mais également envers sa soeur, qui refusait tout contact avec lui.

Il faut également dire que Léo n'a pas beaucoup insisté pour résoudre cette situation. Jusqu'à aujourd'hui, du moins.

Suite à leur discussion, Ondine a compris que c'est leur père lui-même qui a dis à son fils de suivre son coeur, et d'aider les plus faibles à s'en sortir. Dans ce cas, les johtonnais, qui étaient fragile, militairement.

Elle continue de penser qu'il s'agissait d'un mauvais choix. Et qu'il reste responsable de la fracture dans leur famille. Cependant, leur défunt père partage une part de responsabilité. Et elle n'en peut plus de devoir haïr son propre frère.

Dans le fond, elle ne l'a pas dit directement, mais Ondine aime énormément son frère. Peut-être qu'elle n'attendait qu'une chose. Qu'une opportunité se présente afin qu'elle puisse lui pardonner.

"Comme quoi il te suffisait de lui parler, au final," je soupire, soulignant ce que tout le monde se tue à lui dire depuis des mois.

"Et toi, du coup ? Tu as récupéré Ember de ce que j'ai vu. Mais Morgane n'est plus avec vous ?" Demande-t-il, abordant enfin le sujet de Safrania.

Je lui résume alors ce qu'il s'est passé ce matin. Les Soldats sans pilotes. Le plan d'Agatha. Celui de Morgane. Et, enfin, l'intervention du Grand Maître.

Son regard traduit un sentiment d'étonnement, et de regret. Il est difficile d'imaginer qu'autant de choses puissent se passer en une seule matinée...

"Je suis désolé... J'aurais dû te faire confiance, ce matin," dit-il, bien qu'il n'en pense pas un mot.

"C'est pour ça que tu es venu nous voir, ce soir ?"

"...Non," il avoue enfin. "Ma soeur a insisté pour que je vienne m'expliquer avec toi lorsqu'elle a su que tu serais ici ce soir au plus tard. Elle savait que je risquerais de laisser traîner la situation et..."

"Et ?"

Le visage de Léo se déforme dans une expression de douleur intense.

"Et j'ai peur pour toi, demain. J'ai peur que ce que tu ressens pour Ember... cette obsession que tu as pour elle... qu'elle te mène directement à ta perte !"

...

"J'ai déjà dit ce que j'avais à dire sur le sujet, ce matin. Il est inutile d'en reparler," j'affirme en lui tournant le dos, prêt à retourner à l'hôtel.

"Est-ce que tu penses à ce que nous ressentirions si tu venais à mourir ?! Toutes les personnes qui t'aiment... Ember incluse !!!"

Mes yeux se ferment doucement. Comme il l'a dit, je me suis lié d'amitié avec beaucoup de personnes au cours de ce voyage. Et je ne doute pas que ma perte leur ferait autant de mal qu'à moi si je les perdais.

Cependant...

"Je suis une personne égoïste. Alors non, je n'y pense pas," étendant ma main devant moi, je laisse les gouttes de pluie s'écraser dans le creux de cette dernière. "Je n'ai pas l'intention de mourir. Mais perdre Ember serait pire que la mort."










Le lendemain.

Sept heures du matin.

Avec l'aide de Léo et des employés de la Sylphe, nous parvenons à trouver l'entrée de la base souterraine. Une grande cavité. Suffisamment grande pour qu'un Soldat puisse s'y glisser, dans laquelle l'eau de la rivière se déverse telle une cascade.

La bataille du Plateau Indigo est sur le point de commencer. Et la nôtre, dans les entrailles de Kanto, également.

Ember est en forme suite à notre discussion, puis à ses retrouvailles avec Ondine. Cela lui aura permis de se reconcentrer sur ses propres priorités.

À bien y réfléchir, heureusement que Léo nous a interrompus, hier soir. Faire sa première fois la veille d'une bataille importante aurait pu se révéler être fatal...

Pour ma part, je me sens bien. Rien n'a changé depuis hier. Je sais exactement ce que j'ai à faire.

Et je le ferais.



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